La Souche à l'heure des poules

Pierre-OIivier Bussières

Ce mois-ci, Unibroue célèbre son 30e anniversaire. Après trois décennies d’existence, la microbrasserie a largement dépassé son défi initial et est devenue une véritable institution au Québec. Unibroue a ouvert la voie à bien des microbrasseries au Québec en normalisant l’amour du houblon et le goût de la chope artisanale. Selon Pascal Ladouceur, bierologue à Gatineau : « C’est grâce à eux qu’une génération de consommateurs a été entraînée dans le fleuve de la microbrasserie. »

Unibroue, pionnier de la bière artisanale

Il faut rappeler que le lancement d’une microbrasserie en 1990 constituait un pas en arrière : la perception du public était encore défavorable compte tenu de la nouveauté du projet artisanal. De plus, 1990 était une année particulièrement difficile. Le gouvernement provincial avait décrété un moratoire sur les permis de brassage. Les quelques microbrasseries de l’époque jouaient du coude pour garder la tête hors de l’eau. Si Unibroue a si bien tiré son épingle du jeu, c’est aussi parce qu’elle a réécrit les règles…

Unibroue a émergé sur la scène brassicole vers 1990, lorsqu’elle a repris la microbrasserie Massawippi, alors en banqueroute. En réalité, l’achat d’une brasserie n’était pas le projet initial. Les deux investisseurs de l’époque, André Dion et Serge Racine, souhaitaient relancer la commercialisation de la microbrasserie au Québec en créant un marché de distribution. Selon Pierre Clermont, observateur averti de la bière du Québec, « comme il y avait un moratoire sur les permis de brassage Unibroue a acheté Massawippi pour pouvoir brasser leur propre bière. En achetant la brasserie, ils ont automatiquement acheté le permis de brassage, le Br-008.»

Unibroue Le temps d'une Bière
Sylvain Bouchard, grand conteur en chef de Unibroue, est venu sur le plateau du Temps d’une Bière pour brasser des épisodes sur l’Histoire du Québec à travers les bières de Unibroue

Quand les microbrasseries ont rejeté son projet de distribution, Unibroue a acheté Massawippi et a immédiatement lancé sa Blanche de Chambly. Cette bière devint le fleuron de la microbrasserie, ainsi qu’une des bières les plus appréciées du Québec. « La blanche représentait l’amalgame entre la bière québécoise et la Belgique, pont houblonnée entre deux pays, » explique Pascal Ladouceur. « Leur grande force à été d’aller chercher la brasserie belge et d’embaucher un brasseur belge, devenu maître brasseur en 1992. »

En cela, la brasserie flaire une affaire d’or. « Dans le temps, il y avait pas beaucoup de bière belges au Québec en dehors de l’importation. Il y avait surtout des bières britanniques, et quelques bières allemandes. » André Dion, un comptable, a repéré les perspectives de marges bénéficiaires élevées pour la bière belge. Mario d’Eer, premier biérologue du Québec et fondateur du premier festibière de Chambly, a suivi de près l’évolution de l’offre brassicole de la microbrasserie. « Et là, André Dion s’est mis à faire des choses extraordinaires comme la Maudite », la deuxième bière à succès lancée par Unibroue.

C’était la première fois qu’une microbrasserie mettait en rayon des bières ayant un pourcentage d’alcool de 8%, tout ça alors qu’il était illégal pour les épiceries de vendre une bière à plus de 8% ! Unibroue a décidé de prendre le faire le saut. Risque calculé ou coup de théâtre marketing? Quoi qu’il en soit la loi, qui n’était pas criminelle, n’a pas finalement pas été appliquée.

Unibroue, paveur de voie houblonnée?

En 1994, les cuvées se multipliaient, le marché se développait bien et Unibroue avait le vent dans les malts. Déjà à l’époque, Unibroue voulait exporter. En 1996, six ans après sa fondation, Unibroue commercialisait au moins quatre bières, et ouvrait un bureau dans l’Ouest canadien en Alberta. Commença ainsi l’exportation de leurs produits aux États-Unis et en Europe. Cette même année, leurs bières se rendaient jusqu’en Australie! Dans les années 2000, Unibroue obtint la certification sans OGM, ce qui ouvre encore plus de portes en Europe.

Quand Robert Charlebois chante les mérites de la bière artisanale

Malgré son succès, Unibroue continuait néanmoins à se heurter à un obstacle majeur : le manque d’intérêt de la majorité des consommateurs de bière. Le défi gustatif d’une bière artisanale tentait les jeunes, mais ne faisait pas appel aux papilles de leurs parents.

C’est là qu’intervient Robert Charlebois.

En 1993, le chanteur se joint à l’opération et amène le nationalisme québécois au coeur du brassage de la belle province. Ce moment marque un « tournant extraordinaire parce que la microbrasserie était jusque là surtout un phénomène montréalais », selon Mario d’Eer.

L’image combinée d’une microbrasserie nouvelle et locale, et de la légendaire voix de Robert Charlebois propulse Unibroue au premier rang des microbrasseries au Québec. En quelques années, les parents des jeunes qui s’étaient initiées à la bière artisanale, associent maintenant la microbrasserie à Robert Charlebois! « Unibroue avait exorcisé quelque chose », explique Mario d’Eer. Pendant quelques années, la perception des gens était que toute bière de microbrasserie était une bière Robert Charlevoix.

Lorsqu’Unibroue a sorti sa fameuse Raftman en 1996, une bière brassée avec du malt de whiskey, Robert Charlebois est allé jusqu’à Gatineau, dans un bar lui aussi appelé le Raftman, pour en faire la publicité. Si le chanteur a vendu ses parts depuis, sa chanson imprègne encore l’imaginaire de bien des clients chez Unibroue.

Unibroue change les règles du jeu

Avec l’augmentation du volume viennent tous les beaux problèmes de la croissance : les frais de gestions et la taxations. Unibroue a innové de chaque côté.

La bière est taxée à deux niveaux : par la taxe d’assise (ou taxe spécifique) et la taxe de vente. « Quand tu produis cent litres de bières, tu envoies tout de suite 100 dollars au gouvernement. C’est la taxe spécifique. Puis une fois que tu as vendu, tu envoies aussi au gouvernement », explique Mario d’Eer. Or, la taxe spécifique est un lourd fardeau pour les microbrasseries. André Dion a réussi à éliminer le problème à la source en faisant pression pour réduire la taxe spécifique pour les microbrasseries avec la mise en place d’une imposition par paliers grâce à un rapport rédigé par Mario d’Eer.

« C’est à partir de ce moment-là qu’on a commencé à dire qu’une microbrasserie, ça finit à 200 000 hectolitres. » Fort du succès au provincial, Unibroue a répété l’expérience au fédéral. Cela a créé des conditions plus faciles pour créer des microbrasseries. « Les gestes d’André Dion ont établi des conditions gagnantes pour la croissance des microbrasseries au Québec. »

Le choix de la bière avait aussi un avantage concurrentiel : étant donné son haut pourcentage d’alcool, la refermentation en bouteille lui donnait une durée de conservation bien plus longue, allant jusqu’à des années. Pour mettre les choses en perspective, la durée de conservation des bières de microbrasseries en tablette est de trois mois.

Récupérer et remplacer ses bières représente une facture importante. Les microbrasseries étaient coincées avec la gestion d’inventaire (surtout en cette époque de faible demande) ce qui entraînait des coûts, du travail et des investissements pour vider les bouteilles restantes.

Parlez en bien, parlez en malt…

Quand les microbrasseries ont pris leur essor, les grandes brasseries se sont mises à acheter des petites microbrasseries pour satisfaire leurs clients. Unibroue n’a pas échappé à la tendance. En 2004, Unibroue a été acheté par Sleeman, déclenchant un tollé de protestation de la part de certains québécois. Certains se sont mis à blâmer Robert Charlebois lui-même. C’est dire comment l’idée d’une bière québécoise (à succès) tenait les consommateurs à coeur.

Après toutes ces années, tous ses changements, qu’en est-il de la saveur, de la broue et du houblon d’Unibroue? Le Temps d’une Bière a demandé à Mario d’Eer comment le goût d’Unibroue a évolué au fil du temps. « J’ai un grand respect pour Unibroue. C’est des bières au profil gustatif évolutif. Peu importe l’étiquette, je vais reconnaître le profil évolutif de la Maudite. La fin du monde est restée fidèle à ce qu’elle était. Trois-Pistoles est restée pareille, avec un goût de réglisse bien développé qui n’a pas changé. »

Aujourd’hui, Unibroue prouve que le succès peut être atteint en conciliant équilibre et tradition. Leur héritage va au-delà de la normialisation artisanale. « C’était le précurseur des bières fortes en alcool, des bières gastronomiques. Les premiers accompagnements culinaires, c’était Unibroue. », relate Pascal Ladouceur.

S’Il y a une chose qu’on peut dire cette aventure deux fermentée, c’est bien qu’elle a fait coulé bien de la broue!

Écoutez notre balado sur l’histoire de la bière!

Leave a Reply

Trending

Discover more from Le temps d'une bière

Subscribe now to keep reading and get access to the full archive.

Continue reading