L’histoire d’André Dion et la microbrasserie

André Dion et l'essor des microbrasseries

Mario D’Eer, biérologue, conférencier et écrivain

Nous nous sommes rendus au Sergent recruteur, André Dion et moi afin de célébrer l’acceptation du mémoire par les membres de l’Association des Micro-Brasseries du Québec (AMBQ).

J’avais complété la mission de rédiger cet important document, qui sollicitait une baisse de la taxe spécifique pour la production de bières. Il fallait faire des recherches sur les différents systèmes de taxations en Amérique du Nord, en Europe et ailleurs, afin de justifier l’importance de diminuer cette ponction gouvernementale. La survie de ces petites entreprises en dépendait. À chaque étape de la rédaction, je présentais les résultats de mes recherches et de mes analyses aux membres. Ils offraient alors leurs commentaires ainsi que leurs suggestions afin d’orienter les investigations subséquentes.

Cette mission constituait un premier projet conjoint. Jusqu’alors, leurs réunions servaient plutôt d’exutoires à leurs frustrations. Les remontrances étaient chargées émotivement, nourries par des sentiments d’injustice. Développer le marché pour les bières de microbrasseries exigeait alors des énergies considérables. Les nouveaux clients, pubs ou épiceries, constituaient des brèches faciles à exploiter. Ils avaient déjà été convaincus par le compétiteur. Ils souhaitaient élargir leurs offres. Chaque brasserie profitait donc de l’effort de l’autre. Dans le même geste, chacune était également victime des finasseries du compétiteur. Les rencontres de l’AMBQ devenaient ainsi une arène pour ventiler les sentiments d’iniquité. Lorsque André Dion a accepté la présidence de l’association, il souhaitait bosser sur des combats communs, fédérateurs. Celui d’assouplir la ponction de la taxe spécifique, une taxe provinciale, encapsulait ses priorités. Celle-ci constitue un fardeau économique important : dès que la bière est produite, avant même qu’elle ne soit vendue, l’entreprise doit envoyer un chèque au gouvernement. Une taxe fédérale semblable s’ajoute à celle-ci, la taxe d’accise.

Lorsque le mémoire fut officiellement accepté par l’AMBQ, mon travail était terminé. Nous sommes allés au bistro-brasserie de la rue Saint-Laurent, Dion et moi, pour célébrer la fin de cette étape. Pendant nos palabres, nous discutions de ce nouveau festival promu par un trio de l’industrie du tourisme : le Mondial de la Bière. J’agissais à titre de conseiller auprès d’eux. Dion m’a demandé :

– Qu’est-ce que tu penses de l’organisation ?

Je n’avais pas les qualifications pour juger de la qualité de l’équipe. Je ne pouvais qu’affirmer que peu importe, j’étais fier d’aider. Ce n’était pas la première organisation qui m’avait approché pour solliciter mes idées à cet égard. Aucune n’avait mené la chope à bon fût. Je me faisais de moins en moins d’illusions au fil des gorgées du temps qui passait. J’acceptais néanmoins toujours d’accorder mon aide.

– Je crois que ça va marcher leurs affaires. Je pense qu’ils possèdent les compétences pour ça. On verra bien ce que ça donnera. La seule chose qui me tique, c’est la fierté qu’ils ont d’avoir convaincu Labatt et Molson de s’inscrire. C’est l’existence des microbrasseries qui rend possible l’organisation d’un festival de la bière. Si c’était seulement les grands, ce serait une sorte d’Oktoberfest, une grosse beuverie. D’après moi, ça devrait être un festival de la microbrasserie. Les géants ne devraient pas participer. Seulement les bières importées, même si on sait que de l’autre bord, c’est de temps en temps des géants…

– Ce serait quoi pour toi un festival de microbrasseries ?

– Il y aurait plein d’ateliers éducatifs, une exposition, des dégustations de petits échantillons, des accords bières-bouffe, bières-fromages, peut-être même des démonstrations de brassage. Il n’y aurait pas de grands spectacles, pas de scène, juste de l’animation partout sur le site, une sorte de fête foraine, comme il y avait à Baie-Saint-Paul en quatre-vingt-quatre. Ce serait un festival familial. S’il y a plein d’enfants sur le site, les gens, même les célibataires, vont boire de façon responsable. Il faut montrer qu’il est possible de faire un festival de la bière qui ne soit pas une beuverie…

J’exprimais mon rêve un tantinet utopique. Dion m’interrompit, enthousiaste, convaincant :

– J’ai cent mille piastres pour toi si tu viens le faire à Chambly !

Je croyais à une blague. Une dose considérable de scepticisme emplit ma chope. Mais il était sérieux. La Corporation de développement économique de Chambly (CODEC) avait accepté d’octroyer une généreuse subvention à un projet soumis par Dion: « le Festival des bières naturelles et microbrassées. » Deux ans avaient déjà été soutirés, sans qu’une organisation ne se mette en marche. L’octroi allait s’assécher l’année suivante. Il proposa de me placer en contact avec les dirigeants afin qu’ils me confient le mandat de réaliser l’événement.

Dès le départ, j’exprimai mes doutes ainsi que mes conditions. Chambly était alors à des milliers de kilomètres de Montréal. Je doutais de la pertinence d’y faire un important festival, d’autant plus que la ville était le royaume d’Unibroue. Le festival devait être organisé par André Dion et moi, non pas par Unibroue et moi. Lors des inscriptions, Unibroue allait choisir son stand en tout dernier lieu, après que toute éventuelle microbrasserie ait choisi le sien.

– André, j’ai l’impression que pas beaucoup de microbrasseries voudront venir présenter leurs bières si loin de Montréal, dans la cour d’Unibroue.

– Je sais. Ça fait deux ans qu’on niaise. Toi, tu seras capable de les convaincre. Avec le rapport que tu viens de faire, tu as déjà une bonne crédibilité….

– J’ai une autre condition : il faudrait que l’AMBQ fasse partie d’une sorte de comité consultatif. Il faut tenir compte des préoccupations et des suggestions des autres microbrasseries à chaque étape.

– C’est ça qu’il faut faire. Alors t’es d’accord ?

– O.K ! On verra bien.

– Vas-tu continuer de donner des conseils au Mondial ?

– Ben certain ! Enfin, si eux autres le veulent. Je vais être honnête avec eux. Ils choisiront ce qu’ils veulent faire.

Les premières gouttes de la naissance du Festibière de Chambly étaient versées.

….

Quelques mois plus tard, le gouvernement provincial acceptait de moduler la taxation spécifique. Une gradation allait s’appliquer pour les premiers deux cent mille hectolitres produits, peu importe l’importance de la brasserie. Le combat mené par les petites brasseries allait également profiter aux géants… on ne leur accordait pas un statut particulier. Quelques années plus tard, grâce au leadership et au travail de l’AMBQ, l’ensemble de l’industrie microbrassicole canadienne bénéficiera également des nouvelles inflexions de la taxe d’accise. L’arrivée de André Dion à la présidence de l’AMBQ a marqué un tournant majeur non seulement dans l’évolution de l’association, mais également pour favoriser l’émergence des microbrasseries partout au Québec. Il a permis à l’Association de mettre fin à sa période thérapeutique de guérisons d’égos meurtris pour la faire grandir à l’étape d’une solide corporation visant la pérennité de ses membres. Lors du premier congrès de l’AMBQ, on m’a fait l’honneur de lui présenter sa statue hommage.

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Mario d'Eer, biérologue, conférencier et auteur
Quand Mario d’Eer découvre la bière belge, c’est le début d’une longue aventure qui le ménera au bout de l’univers brassicole et plus loin!

Fermentation Spontannée

Mario d’Eer est un biérologue, conférencier et consultant. Il est auteur ou co-auteur de 14 livres sur la bière. Pour le Temps d’une Bière, Mario nous partage sa passion infinie pour les bières de qualité, du Québec à l’autre côté du monde. Retrouvez le sur Facebook. Ces capsules de fermentation spontannée constitueront autant de goutes d’un prochain livre sur la bière au Québec

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