Intronisations à l’Ordre de Saint-Arnould

Rite de passage obligé - Ordre de Saint-Arnould

Des souvenirs formidables de mon intronisation aux Sossons d’Orvaulx, à l’ombre du Fort Chambly en août 1992, jaillissait de ma chope. Une cinquantaine d’ambassadeurs de cette bière unique, l’Orval, étaient venus au Québec en faire la promotion. Un voyage coordonné par Jean-Jacques Millette, un résident de Chambly. Une prestigieuse intronisation avait été organisée sur les terrains du Fort : celle de l’Ordre de Saint-Arnould.

Une brève introduction dans la langue ancestrale de la Gaume avait annoncé les couleurs : « Fayez toudjou l’bin t’t autou d’vou avu l’cûr lôrdge ét amitieû».

On nous plongeait dans une dimension spirituelle intemporelle. La même déclaration, en français de tous les jours, n’aurait pas insufflé la même légèreté : « Faites toujours le bien autour de vous, avec le coeur large et amitié ».

L’estrade était montée le long d’un mur de la fortification. L’appel des impétrants se faisait en dyades. On m’a d’abord invité, puis j’ai entendu le nom de mon co-intronisé : André Dion. Je faisais sa rencontre à ce moment précis. Sa réputation d’avoir été l’artisan de la fulgurante ascension de la compagnie RONA ne l’avait pas rendu snob. Il dégageait l’aura d’un bon quincailler, le voisin prêt à nous donner un coup de main. 

Le rendez-vous des passionnés

Son arrivée dans le monde microbrassicole avait été parsemée de plusieurs obstacles. Il planifiait être le distributeur des bières microbrassées. Il souhait également, surtout, devenir microbrasseur. Les microbrasseries ont refusé d’être partenaires d’Unibroue. La microbrasserie dont il rêvait, Broubec, s’est butée au moratoire sur l’émission de nouveaux permis de brassage.

On croyait alors, en 1990, que ce segment de marché était saturé. Devant cette résistance, la seule option était d’acheter une microbrasserie existante. Dion s’est alors associé avec son ami Serge Racine pour acheter le canard boiteux Massawippi, en créant la compagnie Radico : (Racine, Dion, Co).

Jean Claude Colin, idéateur et leader des salons Eurobière.
Ce n’est pas vraiment nous qui honorions des personnalités. Ce sont plutôt elles qui nous honnoraient en acceptant d’être « intronisées » dans l’Ordre de Saint-Arnould. Sur la photo: Jean Claude Colin, idéateur et leader des salons Eurobière.

Je me souviens d’avoir écrit : « Si on considère la Massawippi Pale Ale comme une gueuze, c’est une très bonne gueuze. Si on la considère toutefois comme une Pale Ale, c’est une très mauvaise Pale Ale. » Dion était indifférent. Il souhait exclusivement brasser des bières refermentées en bouteille, en partenariat avec des brasseurs belges.

La belgique à l’honneur

Permis en main, il a par la suite négocié une entente avec de prestigieux brasseurs belges. La Belgium Brewing Co, incluait entre autres Moortgat (qui sera rebaptisé Moortgat-Duvel), Pierre Célis et d’autres partenaires. Le responsable senior était nul autre que l’ancien président d’Interbrew, Vincent Brusselman, le jackpot. Sauf que. Ce dernier est mort subitement quelques semaines avant les signatures officielles. Le projet est alors tombé à l’eau.

Tous les associés se sont retirés. Célis avait opté pour s’installer au Texas aux États-Unis. La Blanche de Chambly était toujours le moteur de ses ambitions. Le bras droit de Célis, Jean-Luc Suys, lui a recommandé de faire appel à la brasserie Riva pour réaliser son rêve. Toutes les raisons sociales ont fusionné sous le nom Unibroue. Dion avait donc poursuivi son aventure avec la brasserie de Dentergems pour la mise au point d’une bière blanche. L’embauche d’un brasseur belge, Gino Vanthiegem, lui permettra éventuellement d’apporter les corrections aux nombreux soubresauts qui essaimeront sur ce partenariat pendant les premières années.

Michel Gauthier, des Laboratoires Maska, un leader-ami de la révolution microbrassicole au Québec.

Dion donnait donc un coup de main à son voisin, Jean-Jacques Milette dans l’organisation de cette cérémonie, acceptant d’être intronisé. Le camion réfrigéré décoré au sigle de Massawippi était bien en vue sur le terrain. L’Orval, représentée par la jeune compagnie Zig-Zag, était alors vendue dans les établissements de la Société des Alcools. Lorsque la loi l’a permis, quelques années plus tard, Orval a fondé une compagnie québécoise. L’élixir pouvait ainsi être offert dans le réseau des épiceries. Unibroue était le distributeur officiel.

Dans sa grande prudence, sous les conseils d’un membre du corps diplomatique, Orval avait nommé un directeur farouchement fédéraliste, presque anti-indépendantiste. Le sage conseiller justifiait sa recommandation sur la nécessité d’équilibrer l’énergie de Dion, un fervent nationaliste québéquois, presque anti-fédéraliste. Un équilibre parfait, une parfaite recette perdante. La neutralisation des forces a malheureusement prouvé la vision du diplomate.

La compagnie a fermé ses robinets quelques mois seulement après ses laborieuses activités. Nous étions donc debout, Dion et moi, l’un à côté de l’autre, en train d’écouter le laïus du maître de cérémonie. Il déclamait le contenu de nos curriculum vitae, légèrement modifiés en y intégrant métaphores épicées de jeux de mots humoristiques, valorisants. Il savait comment rehausser l’image de chaque nouveau membre. 

La cérémonie avait été suivie d’un souper gourmand, très généreusement arrosé à l’Orval.   Ainsi, lorsque nous avions proposé un échange de vœux entre l’Ordre de Saint-Arnould et les Sossons, dans le cadre de la planification de la Route belge de la bière, je connaissais le défi que l’OSA devait relever. Ils possédaient un protocole bien effervescent, nous devions en inventer un ! L’échange allait se dérouler dans le cadre d’un souper gastronomique, au sein du Musée de la bière de Stenay, sous la bénédiction de Philippe Voluer.

Quelques semaines avant le grand départ, nous n’avions encore rien développé. Devant la possibilité d’annuler cette activité, Léon Gagnon du Pub Thomas Dunn de Québec, nous a offert de prendre en charge la cérémonie. Nous nous sommes donc mis à la tâche, lui et moi, dans son appartement à Charlesbourg. Nous avions toute la soirée pour bosser.

Pendant nos discussions, il m’a fait découvrir le Mezcal. Mon verre ne s’est jamais vidé. Une chenille dormait de son repos éternel dans le fond de la bouteille. Gagnon m’avouera le lendemain matin, au réveil, que j’avais terminé la bouteille, incluant le ver. J’avais perdu la carte et toute souvenance.

Au nom de l’Ordre, de Saint-Arnould et de la bière!

Je ne savais pas non plus que j’avais donné mon accord pour une commande de deux douzaines de robes de bure. Le contrat avait déjà été confié à son amoureuse. Impossible qu’elles soient prêtes pour le voyage. Nous n’avions rien d’un semblant de protocole d’intronisation, seulement la bénédiction originelle du 10 février 1991, de Jean Rochon OMI (Oblats Marie-Immaculée): « Que la bénédiction du grand Saint-Arnould soit sur nous. Lui qui savait que son Maître avait changé l’eau en vin, savait aussi que si ç’avait été de la bière, ç’eût été meilleur. Qu’il nous donne soif et resoif, nous garde heureuses et heureux, et longue vie à son ordre béni. »

Et toutes/tous en chœur : « Ammène d’la bière Arnould ! »

Retour à la case départ.  Devions-nous annuler ? J’ai simplement composé un virelangue que nous alliions faire répéter aux cousins de Florenville : « Que cet auguste magicien, Arnould devenu saint, veille sur tous et sur tout, et surtout sur nous de l’Ordre de Saint-Arnould, à la gloire de la liberté et à l’éloge de la fraternité. »

Séance spéciale - Ordre de Saint-Arnould
Les cérémonies « d’intronisations » se déroulaient au stand de brassage. Les moûts ainsi produits étaient vendus. Tous les profits étaient versé à la Fondation Pinocchios, venant en aide aux enfants handicapés.

Léon avait le casting pour personnifier un moine. J’ai longuement négocié avec lui afin qu’il se résigne à animer ce semblant de cérémonie. Je me vengeais un tantinet de l’achat « imposé » des robes de moine. Lors de sa prestation, il s’était tellement enfargé dans sa diction que toutes les personnes présentes l’ont enveloppé de leur bienveillance. Il a assumé pleinement. La sensation de bonheur ainsi semée avait amplifié le sentiment d’amitié en cette fin de voyage.

Quelques semaines après le retour, les robes de bure nous étaient livrées. Nous recevions également un superbe cadeau provenant de deux membres de la Mauricie, Laurent Livernoche et Alain Moreau : une superbe fourchette du brasseur, un fourquet. Fallait maintenant trouver une utilité à ces équipements. Cela coïncidait avec la mise au point d’un programme de certification de compétences.

À l’époque, un certain nombres d’égos se déclaraient « experts » sur leurs simples habiletés de pouvoir expliquer la différence entre les termes « lager » et « ale » et de savoir que le houblon était une plante. J’exagère un peu. Nous avions donc entrepris l’élaboration de tests comportant une série de questions de base, complétés d’analyses organoleptiques à l’aveugle. Les niveaux reconnus étaient Moine, Chanoine, Chantre, grand Chantre et Honoris Canonicus. La première, la seule certification, a eu lieu au Sergent recruteur.

Cinq personnes s’étaient inscrites, d’abord par plaisir. Aucune ne souhaitait porter un quelconque titre.  Nous avons alors monté une chorégraphie plus ou moins ésotérique, vêtus de nos robes, ouvert par la bénédiction originelle, récitée par son auteur, Jean, suivie par le virelangue. Lors d’un toast symbolique, nous nous placions en cercle, levions simultanément nos chopes en forme de calice vers le ciel.

Dire merci…et trinquer

Au bilan final, nous avons exécuté cette scène une seule fois. Le kit a par la suite servi au Festibière de Chambly. Un nouveau protocole allait être mis au point, cette fois ci sous la bénédiction d’Alain Geoffroy. La liste des personnes honorées était improvisée à partir des personnalités présentes, dans les minutes précédant le déroulement. La cérémonie était alors une façon de les remercier : « Nous sommes vraiment reconnaissants de votre contribution directe ou indirecte à l’avancement de la cause bière ou Festibière ».

Les niveaux reconnus étaient Moine, Chanoine, Chantre, grand Chantre et Honoris Canonicus.
Nous avions donc entrepris l’élaboration de tests comportant une série de questions de base, complétés d’analyses organoleptiques à l’aveugle. Les niveaux reconnus étaient Moine, Chanoine, Chantre, grand Chantre et Honoris Canonicus. La première, la seule certification, a eu lieu au Sergent recruteur.

Le texte du certificat alors offert reflétait cette douce légèreté qui gouvernait ces intronisations-spectacles : « Par les pouvoirs de la chope céleste qui nous asperge de sa grande sagesse, nous déclarons que XYZ a subi les tortures cérémoniales de l’intronisation à l’Ordre de Saint-Arnould, et qu’il a prononcé ses voeux de bien boire et d’amitié lors de la remise du titre, en foi de quoi nous signons.

Signature occidentale à gauche et signature orientale à droite. Le port de la robe de bure était optionnelle, mais la plupart la revêtait avec enthousiasme et fierté. Son pouvoir photogénique et symbolique était irrésistible pour les aficionados. Au fond de la chope, ce sont surtout eux et elles qui nous honoraient en acceptant l’hommage.

L’ensemble monacal a également servi pour animer le fameux stand « Trappiste » lors de la cinquième édition.  Nous en reparlerons. Avec les gorgées du temps qui passe, j’ai prêté le fourquet à un ami dont le nom est noyé dans ma mémoire. Les robes, quant à elles, reposent maintenant dans un placard de la MicroBrasserie Charlevoix.

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Mario d'Eer, biérologue, conférencier et auteur

Fermentation Spontannée

Mario d’Eer est un biérologue, conférencier et consultant. Il est auteur ou co-auteur de 14 livres sur la bière. Pour le Temps d’une Bière, Mario nous partage sa passion infinie pour les bières de qualité, du Québec à l’autre côté du monde. Retrouvez le sur Facebook. Ces capsules de fermentation spontannée constitueront autant de goutes d’un prochain livre sur la bière au Québec

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