Le sang de mes veines vibrait à la bière. La rencontre d’Alain Geoffroy avait centuplé cette énergie. Dans mon enthousiasme, je croyais que la motivation des autres membres du conseil d’administration de l’Ordre de Saint-Arnould (OSA) oscillait à la même fréquence.
Je fonçais à cent mille à l’heure dans l’organisation d’activités sans réaliser que je constituais le moteur principal de l’amicale. Le comité sur la création des importations privées s’est perdu dans le labyrinthe administratif de la Société des Alcools du Québec. Le premier groupe responsable de développer des fiches analytiques n’a rien produit.
L’animateur s’est contenté de boire les bières offertes, ne s’est plus présenté aux meetings. Le coordonateur d’un premier festival de la bière à Gatineau est disparu dans la brume. Le sous-comité autonome de la ville de Québec s’était sabordé suite à notre refus de transférer inconditionnellement un pourcentage des droits d’adhésion.
Seuls les responsables des ateliers sur le brassage maison dirigés par Jean-Marc Collin, et celui du BULLES’tin dirigé par Pierre Toussaint (qui ne faisait même pas partie du CA), encapsulaient la marchandise. Beaucoup de volontaires pour la bière gratuite, peu pour assumer des responsabilités. Aucun remords, aucune animosité. Une simple constatation du genre humain.

À la recherche de Saint-Arnaud
Mon enthousiasme creusait un fossé. Je devais légitimement rendre des comptes à mes collègues. On soulignait que je prenais trop de place, empêchant d’autres de rayonner. Je leur ai offert de prendre ma relève sur n’importe quel comité. Alain Geoffroy m’offrait son aide fidèle, à la simple condition que j’assume le rôle de leader. Il a accepté la responsabilité de rédacteur en chef de BièreMAG, me secondait dans les cours sur la dégustation, m’accompagnait dans mes voyages d’exploration en Europe.
Constatant que la structure « sans but lucratif » créait un déséquilibre, j’ai simplement remis ma démission de la présidence. Sans amertume, sans regrets. Personne n’a pris le relais. Les membres allaient ingénument être abandonnés. Nous avons donc élaboré un plan de transition. Alain devait organiser une assemblée générale afin d’y faire voter deux résolutions.
La première, par laquelle l’Ordre de Saint-Arnould me transférait les responsabilités administratives des activités. La deuxième, que l’Ordre me transfère la propriété de BièreMAG. Un modeste quorum était prévu par les statuts et règlements. La dizaine de membres présents au Fûtembulle sur Bernard à Montréal a accepté unanimement les cessions. Je ne devenais pas propriétaire du club, simplement mandataire, en attendant qu’il puisse être relancé par une nouvelle équipe.
J’organisais par la suite plus ou moins régulièrement des visites de brasseries, des cours et des soupers gastronomiques sous la raison sociale du club. Le nom servait également pour un stand prestigieux pendant le Festibière de Chambly : les trouvailles de Saint-Arnould. Le plus célèbre fut celui géré par Caroline Bandulet, « Le Monde trappiste belge », où toutes les brasseries trappistes étaient représentées, incluant la rarissime Westvleteren capsule jaune. Nous y reviendrons.
L’arrivée de René Huard a permis un transfert officiel de l’OSA sous un leadership renouvelé. Il dirigeait alors un club de biérophiles plus important : les 3B (les Bons Buveurs de Bières). Il proposa même de maintenir le nom « l’Ordre de Saint-Arnould », sacrifiant celui des 3B. Il proposa de fusionner les deux clubs et d’abolir les formalités d’adhésion pour simplement opérer à partir d’une plate-forme internet : un babillard.
De réseau en réseau
Ce réseau social était une nouveauté révolutionnaire à l’époque. Son succès fut grandiose. Un incontournable pour les amateur.e.s au Québec au début du siècle. Lors de l’organisation du kiosque de l’Ordre de Saint-Arnould, à l’édition subséquente du Festibière de Chambly, un triste imbroglio est survenu. René Huard avait obtenu une commandite de la ferme-brasserie Schoune, de son grand ami Patrice Schoune. Il n’avait été en mesure d’installer ses équipements que pendant la nuit.
Lorsque le soleil a éclairé le fort le matin venu, on pouvait apercevoir l’immense bannière flamboyante de son protecteur trônant devant l’entrée principale du site. Cette brasserie ne s’était pas inscrite comme exposant cette année-là, contrairement aux années antérieures. De plus, les bouteilles pleines présentées sur le comptoir ne pouvaient pas être servies en échantillon, faute d’avoir demandé un permis d’alcool.
Les animateurs devaient amèrement déclarer aux visiteurs que l’administration du festival interdisait formellement la vente de ces produits. Des amateurs étaient frustrés d’être privés de la consommation de ces bières. Plusieurs se sont plaints auprès de l’administration. C’est avec tristesse que l’on a demandé le retrait de la bannière et des bouteilles. Un arrière-goût âcre est resté coincé dans la souvenance des parties impliquées suite à ce malheureux malentendu.
Le club-babillard était devenu, au fil du temps, une arène où s’affrontaient les idées. Des égos et des règlements de compte s’y déroulaient. Un moment charnière est alors survenu dans mon cheminement professionnel. Jusqu’à l’an 2000, je censurais publiquement mes découvertes de bières dites « infectées ». Des produits, habituellement refermentés en bouteille qui gueuzaient, dont le profil de saveurs se métamorphosait par l’action d’une levure sauvage ou d’une bactérie.
Après Saint-Arnould
Dans les années antérieures, je communiquais directement avec les brasseries concernées afin de signaler la chose. Dans tous les cas, on me remerciait. Des actions étaient habituellement entreprises pour retirer des tablettes les lots concernés. La brasserie à laquelle j’ai signalé la chose à l’été 2000 m’a envoyé chier. Elle jouissait néanmoins d’une protection inconditionnelle chez les dirigeants du club.
Dans le forum, un amateur souhaitait connaître les raisons du jaillissement de mousse lors d’un décapsulage de cette bière. La moitié de la bouteille s’était propulsée spontanément dans le vide. J’ai répondu qu’elle était manifestement « infectée ». Je disposais discrètement d’une analyse faite par les laboratoires Maska confirmant cette situation. Une guerre m’a alors été déclarée, à moi ainsi qu’aux membres qui partageaient mes idées. J’ai déposé les armes.
Le développement de l’OSA, sous les ailes de l’équipe Huard, a mené à une modification, un rajeunissement du nom. Il est devenu Bièropholie. L’association a connu une croissance importante, notamment grâce à deux volets. D’une part, les importations privées sous la responsabilité de Yowie, Hughes Gauthier.
Gauthier possédait une résilience inconditionnelle, doublée d’un sens de l’organisation hors pair. Sachant dans quel labyrinthe il devait naviguer, il faut reconnaître sa grande détermination. D’autre part, l’implication de Jean-François Gravel, le maestro de Dieu du Ciel!, dans l’élaboration des premières recettes des bières de distinction « Bièropholie » a fortement contribué au prestige de l’association. Lorsque les promoteurs de l’Institut de la bière m’ont invité à me joindre aux membres fondateurs, je sentais que l’une de leurs principales motivations était de faire la guerre à Bièropholie.
Je ne souhaitais pas aider la création d’un club militaire. J’ai refusé. Dans ma petite chope, le succès d’un regroupement résidait dans l’établissement d’objectifs élevant la bière à son zénith et non en labourant un champ de bataille pour égos meurtris. Le club alternatif n’a pas fait longue gorgée.
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Fermentation Spontannée
Mario d’Eer est un biérologue, conférencier et consultant. Il est auteur ou co-auteur de 14 livres sur la bière. Pour le Temps d’une Bière, Mario nous partage sa passion infinie pour les bières de qualité, du Québec à l’autre côté du monde. Retrouvez le sur Facebook. Ces capsules de fermentation spontannée constitueront autant de goutes d’un prochain livre sur la bière au Québec
Notes de René Huard : Mario d’Eer m’a invité à l’Amère à Boire pour discussions et boissons. Là-bas, il me parle de l’Ordre de St-Arnould et de ses membres. Il a présenté ça comme beau et gros comme sait le faire Mario. C’est lui qui m’a proposé de fusionner nos deux « clubs ». En fait, « mon club », le CB3 (le Cercle des Buveurs de Bonnes Bières) n’était pas vraiment un « club », il n’était qu’un regroupement de gens qui discutaient ensemble sur un forum sur Internet.
Plus on est de fous, plus on rit ! Nous avons fait la « fusion ». Du jour au lendemain, j’ai créé un site web pour l’Ordre de St-Arnould, j’y ai installé mon forum et y ai redirigé les visiteures(s) habituels(les). J’ai aussi créé un formulaire en ligne qui vendait les cours que Mario offrait.
Le CB3 avait à l’époque autour de 450 « membres » sans aucune inscription, ni frais d’adhésion. Mario a toujours refusé de nous partager la liste des membres de l’organisation qu’il voulait fusionner… Nous avons su pourquoi quelques temps plus tard et de bien triste façon, lors du premier Festibière (organisé par Mario) à Chambly; Des gens furieux venaient à notre kiosque en demandant d’être remboursés pour les frais de membership qu’ils avaient payés pour être membres de l’Ordre de St-Arnould avant d’être complètement « ghostés » par l’Ordre. En cherchant à comprendre de quoi il était question (puisque que nous n’avions pas de tels frais), les furieux m’ont physiquement pointé du doigt Mario D’Eer comme étant la personne qui les avait envoyés au kiosque que je tenais pour demander un remboursement de l’argent que lui avait pris !!!