Le Temps d’une Bière s’est entretenu avec Jean-François Gravelet Stéphane Ostiguy, les deux instigateurs de la mythique microbrasserie Dieu du Ciel! en l’honneur du 25e anniversaire. Au menu : des gens de coeur, le panthéon de la passion et un bilan serein sur la bière au Québec.
Moi qui raffole de la mythologie des civilisations anciennes, j’étais bien sûr intrigué par le nom de la brasserie. Mon côté geek était tenté par le titre céleste comme Gollum par l’anneau unique dans le Seigneur des Anneaux.
En parlant avec Jean-François, j’ai réalisé que je n’étais pas tout à fait dans le champ : l’amour de la bonne bière atteint des proportions divines chez Dieu du Ciel! Vingt-cinq ans après sa fondation, le vote du public a consacré la microbrasserie parmi les premières du Québec, notamment grâce à ses pastry stouts et à ses bières barriquées. Mais dans le panthéon des dieux, on trouve d’abord des gens de cœur et de la persistance plein les fûts.
Dieu du Ciel! : entre mythologie et zythologie
Jean-François voulait faire un hommage aux monastères et aux bières d’Abbaye. Fortement inspiré par la tradition belge, comme bien des brasseurs québécois au début de la révolution artisanale, Jean-François cherchait un écho, une perche, un pont, vers la tradition de haute qualité des monastères historiques du Nord de la France et de la Belgique. Contrairement à l’Europe, le Québec n’avait jamais eu de tradition de brassage monastique. Il fallait remédier à ça!
Et puis, Dieu du Ciel!, ça avait de la gueule. Déjà le dire, c’était d’extasier devant un produit de luxe. Pour moi qui est amateur d’histoire, ça résonnait profondément. La bière était le cadeau des dieux, le breuvage sacré des Vikings, le pain liquide des masses, le digne successeur du Soma dans le Rig Veda…
Mais Jean-François me ramène sur terre. Dieu du Ciel! faisait aussi référence à la haute qualité recherchée. Il s’agissait de faire comiquement dire aux gens, “Dieu du Ciel!”
La qualité, oui, mais sans compromis sur la diversité. Lorsqu’ils ont commencé à brasser des affaires, la gang de Dieu du Ciel! voyait que les brasseries se spécialisent dans un style ou dans un autre, à mi-chemin entre les bières continentales européennes et les incontournables bières belges qui ont propulsé Unibroue au premier rang des brasseries québécoises.
C’est simple, ils sont devenus l’exemple à suivre à tellement de niveaux (qualité d’exécution, créativité générale, générosité gustative, etc.) que les microbrasseries qui ont suivi avaient un objectif très élevé à atteindre afin d’essayer de les rejoindre au haut du palmarès.
Martin Thibault, auteur des Coureurs des Boires et conférencier
Le quartier général des amateurs
DDC!, c’est aussi l’amour de la fête, des bonnes choses et des gens. On aime voir les gens goûter et apprécier ce qu’on brasse. C’est ça qui est le plus gratifiant, me dit Jean-François. La brasserie est aujourd’hui installée à Saint-Jérôme, mais l’aventure a débuté au brewpub de Montréal sur Laurier Ouest. C’était – et c’est encore – le parfait laboratoire pour tester des petites brassées expérimentales directement avec les habitués et les visiteurs de grand chemin.
Mario d’Eer, biérologue, conférencier et chroniqueur, se rappelle les débuts de la microbrasserie et son impact immédiat sur la scène brassicole. «Vers la fin des années 90, DDC Laurier était le « siège social » des mordus passionnés. Entre 3h et 7h, tu étais certain de rencontrer au moins un membre de l’Ordre de Saint-Arnould, de pouvoir te joindre à une discussion dont la finalité était de mieux encercler la vérité du goût de la bière…. Nous nous ramassions souvent une dizaine, peu importe le jour de la semaine…. Toujours imbibés de passion.»
Des pionniers de la micro
Cinquième brewpub à Montréal, Dieu du Ciel! s’était donné comme mandat de maximiser la diversité de la bière. Ce n’était pas une mince affaire considérant que 70 % des bières dans le monde sont des lagers vendues par une demi-douzaine de conglomérats qui brassent littéralement partout dans le monde. La brasserie exporte dans toutes les provinces du Canada, aux États-Unis, en France, en Italie, en Suède, en Espagne et en Allemagne, pour ne nommer que quelques-uns.
Le vaisseau amiral de la flotte DDC! est bien entendu laPéché Mortel, une bière forte au ton grave. Bière inspirée des porter américains et anglais à l’orge torréfiée. à 9.5% d’alcool par volume, ce péché mignon aux puissantes notes de café est depuis longtemps un classique. Véritable classique, la bière a propulsé Dieu du Ciel! dans les ligues majeures dès son apparition, validant amplement les aspirations divines de la brasserie. Brassée depuis 2001, c’est elle qui nous a mis sur la map, me confie Jean-François.
Impossible de dire si le sourire appartient à la fierté ou à la modestie à travers l’écran traître de MS Teams. Devant l’incertitude, je m’indigne : mais vous devez bien être fiers ! Là-dessus, Jean-François éclate de rire. C’est que l’histoire ne s’arrête pas là. Le brasseur a eu l’idée de faire vieillir la bière en barrique de bourbon, et depuis, la réputation de la bière barriquée a dépassé celle de l’originale.
La tendance, quelle tendance?
Stéphane s’occupe du côté administratif, des ventes et des commandes. Il est bien placé pour jeter un regard sobre sur le marché québécois. Je lui demande quelle est la tendance qu’il observe dans le marché de la bière au Québec et un silence s’installe. Malgré l’écran artificiel qui nous sépare, on s’entend tous penser à peu près la même chose: la tendance, quelle tendance?
Bien sûr le marché est beaucoup plus serré qu’avant et la New England IPA est plus populaire que jamais. Mais c’est un peu du bruit de fond. Ce qui arrive, c’est qu’il n’y a plus de grande tendance. La tendance, c’est que la tendance est de plus en plus courte. Le client cherche non plus une saveur, mais une aventure gustative unique. Ainsi, toutes les modes sont plus courtes les unes que les autres.
Même son de cloche chez les Bières Philosophales. Le brasseur et co-propriétaire, Max Ducharme, me disait qu’il y encore cinq ans, les brasseries pouvaient « surfer sur le hype » d’une nouvelle bière. Aujourd’hui, même une bière exceptionnelle peut être immédiatement reléguée aux étagères dans un déluge d’offres. Peut-être, suggère timidement Stéphane , est-ce le temps de revoir nos priorités de brasseurs. Il n’y a aucun mal à se spécialiser dans un style, ni même à réduire l’offre.
Après l’engouement pour les bières arrache-gueules qui vous incendient la mâchoire à grand coup de houblon explosif, on constate un retour de balance en direction des bières simples et nuancées comme la pilsner. (Remarque, le Temps d’une Bi`ère n’a rien contre une bonne West Coast IPA.)
Les bières à essayer chez Dieu du Ciel!
Je ne vous mentirais pas : la description hautement calorifique de la Péché Mortel a fait rêver mes papilles gustatives. C’est d’ailleurs une des bières préférées de mes deux compères. Stéphane, quant à lui, est un grand fan de la Corne du Diable, un retour sur les origines de la IPA anglaise, mais avec une avalanche de houblon pour satisfaire les papilles gustatives de l’amateur moderne.
Si l’on se fie au vote populaire de Untapped, la sainte trinité des bières à essayer contient effectivement la Péché Mortel, mais aussi Aphrodite, un stout Américain, et la Moralité, une IPA bien américaine dont le nom évoque des souvenirs de prohibition…
Pour finir, deux brassées qui valent tout autant le détour, La Route des Épices (gamme Grand Classique) et La Sieben Hügel (gamme Création) une une rauchbier qui devrait bientôt apparaître chez les détaillants spécialisés.
Prochains événements pour Dieu du Ciel!
- MAPP à Montréal, dans le Mile-End (27 au 30/09)
- Oktobierfest de Sainte-Adèle (29/09 au 01/10)
- Billie’s Craft Beer Fest à Anvers, en Belgique les 10-11 novembre
