D’où vient l’India Pale Ale, l’une des bières les plus populaires au monde ? Si la bière est la quintessence des microbrasseries nord-américaines, son histoire est faite de mythes et de légendes.

L’India Pale Ale est-elle vraiment originaire d’Inde ? Était-elle vraiment populaire à l’époque ? Cette bière a-t-elle encore quelque chose en commun avec ses origines, alors que la technologie, les goûts et les marchés ont tellement changé ?

En déboulonnant plusieurs mythes, nous explorons comment la traversée de l’océan, les relations économiques avec la Russie, la qualité de l’eau et l’absence de trains ont conspiré à créer, en pleine révolution industrielle, une bière totalement différente de toutes celles qui l’avaient précédée.

D’où vient la India Pale Ale?

La première mention de l’IPA (dans le Liverpool Mercury) sous le nom de « India Pale Ale » apparaît en 1835, mais le style lui-même est déjà bien connu. À l’époque, la « pale ale » était une variante de la Burton Pale Ale : une bière forte et sucrée. En revanche, la Burton Pale était sèche et amère en raison de l’eau locale enrichie en sulfate de calcium. Mais comment cette bière est-elle devenue plus populaire que la bonne vieille ale anglaise, beaucoup plus douce et légère ?

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La India Pale Ale : contexte historique et économique

L’histoire de l’IPA commence curieusement aux Pays-Bas. Ce sont les colons néerlandais et flamands installés dans le sud de l’Angleterre qui ont commencé à importer massivement du houblon dès le 15e siècle. Les Néerlandais et les Allemands du Nord disposaient déjà depuis au moins deux siècles de nombreuses houblonnières utilisées pour la fabrication de bière de qualité.

Les propriétés antiseptiques du houblon sont connues depuis le 9e siècle, même s’il peut donner un goût légèrement amer à la bière. Mais à l’époque, la tendance de la bière était plutôt au sucré. Les bières anglaises s’apparentaient davantage à des cervoises aromatisées avec des ingrédients locaux, comme c’était le cas dans toute l’Europe. C’est pourquoi les Anglais ont longtemps méprisé cette plante étrangère et le produit qui en découlait, la bière.

Cependant, avec l’avènement de la Révolution Industrielle, Londres a commencé à innover en utilisant des machines à vapeur, ce qui a permis d’augmenter considérablement la production et le volume. La bière commence à être vieillie dans des fûts pouvant atteindre 28 pieds de haut. Cela s’avère être la solution pour obtenir un produit stable, qui vieillit bien et qui peut être transporté sans problème.

C’est ainsi que fut inventée la Porter, qui devint la bière la plus populaire de la région. Les progrès techniques qui ont permis de produire la première bière « stable » d’Europe ont également permis de créer des malts plus sucrés grâce à la technologie de torréfaction, empruntée au monde du café. En outre, la découverte qu’un grain chauffé indirectement à une température plus basse permet d’économiser des coûts a eu un impact significatif.

Mythe #1

Un naufrage près de Liverpool aurait popularisé l’IPA en Angleterre. En 1827, un navire contenant 300 barils d’IPA se serait échoué alors qu’il se dirigeait vers les Indes et son contenu aurait été vendu aux enchères, créant une sensation à l’époque. Cette histoire apparaît en 1869, mais personne n’a pu documenter la découverte d’un navire naufragé à cette date, et encore moins la vente aux enchères en question.

India Pale Ale Histoire Phipps
Phipps, une des plus anciennes brasseries spécialisée dans la bière de type IPA, image tirée de Wikipedia

À l’époque, l’Angleterre venait d’interdire l’utilisation d’ingrédients autres que le houblon dans la bière, tout en imposant des taxes importantes sur les composants, notamment le malt. Les brasseurs ont donc fait ce que tout le monde ferait : diluer leur Porter. En l’espace de deux générations, les amateurs de bière ont constaté que le Porter n’avait plus le même goût qu’avant.

Au même moment, un événement géopolitique majeur à l’Est bouleverse l’équilibre mondial. En 1823, la Russie augmente les droits d’importation sur la bière anglaise. À l’époque, Burton n’est pas encore relié à Londres par le chemin de fer. La brasserie se concentre sur la production de volumes destinés à l’exportation et peine à écouler ses stocks sur le marché local.

Le marché des Indes Britanniques

Nous sommes en plein « raj », la colonisation britannique de l’Inde. L’occupation dure depuis quelques décennies et les soldats britanniques ont soif de bière anglaise. Mais amener cette bière jusqu’en Inde est un défi colossal. Le voyage dure trois mois et les navires traversent deux fois l’Équateur. La bière roule abondamment dans des tonneaux, sans parler des fameux vers de barils, qui menacent de percer le tonneau et d’exposer le précieux liquide à l’air ambiant.

Bien sûr, la solution était déjà une bière de garde, robuste et bien houblonnée pour l’époque. À l’époque, la bière était vendue sous contrat par des brasseurs spécialisés dans l’exportation. L’Angleterre a été l’un des premiers pays à se spécialiser dans l’exportation de la bière. Il existe un marché spécial pour la Russie et un marché spécial pour les Indes Occidentales.

Au départ, trois types de bière ont été livrés dans le cadre de ce contrat : la Porter, la Marzen et l’ale forte. Il s’agissait dans les trois cas de bières plus alcoolisées et plus houblonnées. La Porter était déjà bien connue, l’ale forte était une version légèrement plus forte d’une bière standard, tandis que la Marzen était quelque chose de différent.

Brassée en mars, elle était destinée à vieillir en fût jusqu’en octobre, d’où son nom. C’était une bière conçue pour un vieillissement prolongé. Certains manoirs britanniques se faisaient un devoir de la laisser vieillir pendant des années, voire des décennies. Le résultat était une bière claire et souple, souvent légèrement mousseuse.

La Bow Company de George Hodgson fournit la majeure partie de la bière destinée aux voyages vers les Indes Occidentales, en particulier le porter. En principe, le modèle commercial est assez intéressant : la société vend à crédit pendant 18 mois, le temps d’écouler les stocks, de revenir et de décanter un peu. Mais rapidement, les soldats commencent à se plaindre. Une fois en Inde, la bière est fade et plate, voire contaminée.

La brasserie tente de résoudre le problème en envoyant du concentré de bière, de la bière non fermentée. Finalement, Hogdson décide tout simplement de passer au vin d’orge, une bière déjà vieillie dont la teneur en alcool est d’environ 8 %. De 1800 à 1820, Hodgson fait de bonnes affaires, quadruple sa production et déménage pour s’agrandir.

Vers 1821, la brasserie est dirigée par Mark, le fils de George, et son associé Drane. Leur rêve est de vendre directement à leurs clients en Inde, sans passer par la Compagnie des Indes Occidentales. Du jour au lendemain, les deux propriétaires cessent de prêter et refusent d’accepter autre chose que du liquide, puis augmentent finalement le prix de leur bière de 20 %. L’objectif est clair : damer le pion aux officiers britanniques, qui vendent de la bière en leur nom propre et à leur guise.

Mythe #2

L’IPA n’a jamais été la bière la plus vendue en Inde. Au contraire, l’IPA a eu tendance à être une bière sporadique, voire de luxe. Les principales bières vendues en Inde – pour les soldats et les marchands britanniques – étaient des porters.

Bien entendu, la Compagnie des Indes Occidentales est absolument furieuse. Mais elle n’est pas la seule : les détaillants de Calcutta et de Madras sont tout aussi ulcérés : ils sont eux aussi mis à l’écart du marché. L’avidité de Hogson crée un besoin urgent : trouver quelqu’un d’autre capable de fournir une bière en volume, et vite !

Lorsqu’un avocat membre du conseil d’administration de la Compagnie des Indes Occidentales invite le brasseur Samuel Allsopp à dîner à Londres, ce dernier ne se doute pas que sa vie est sur le point de changer. Samuel dirige une brasserie en déclin. Burton-on-Trent exporte désormais exclusivement vers le lucratif marché russe. Mais un an plus tôt, les douaniers russes ont imposé des droits de douane ridiculement élevés sur les bières importées par Burton. À ce prix, il ne pouvait pas vendre à la cour impériale, qui adorait le porter fortifié.

« Que diriez-vous de vendre votre Burton Ale en Inde ? » demande Campbell Majoribanks, représentant les directeurs de la Compagnie des Indes Occidentales. Après une longue discussion et sans doute beaucoup de bonne bière, Allsopp finit par accepter. Il ne le savait pas encore, mais il avait sous la main un ingrédient qui allait faire sa fortune et changer à jamais le cours de l’histoire brassicole : une eau extraordinaire pour l’IPA.

Le Secret de Burton-sur-Trent

L’eau de Burton a joué un rôle crucial dans l’invention de l’India Pale Ale (IPA) en raison de son impact significatif sur les caractéristiques de la bière, notamment grâce à la présence de sulfate de calcium.

L’eau utilisée pour le brassage de la bière a une influence majeure sur son goût, son arôme et sa texture. Dans le contexte de l’IPA, l’eau de Burton, une ville d’Angleterre, est devenue emblématique en raison de sa composition chimique unique. Cette eau se caractérise par sa forte teneur en sulfate de calcium, également connu sous le nom de gypse. Ce minéral a un impact direct sur la perception du goût de la bière.

Le sulfate de calcium présent dans l’eau de Burton agit comme un élément minéralisant qui influence le profil aromatique de l’IPA. Il a la capacité de renforcer les arômes et les saveurs amères du houblon, tout en réduisant l’impact des saveurs sucrées des malts utilisés dans le processus de brassage. Cela a un effet évident sur l’équilibre général de la bière, donnant à l’IPA son amertume et sa sécheresse caractéristiques.

En effet, l’IPA se distingue par son amertume prononcée et ses arômes de houblon, qui sont essentiels pour masquer la douceur résiduelle des malts et créer un profil de saveurs nettes et complexes. L’eau de Burton, avec sa concentration en sulfate de calcium, favorise cette amertume caractéristique tout en évitant que la bière ne devienne trop sucrée.

L’utilisation de l’eau de Burton et de sa teneur en sulfate de calcium a donc constitué une étape cruciale dans l’évolution de l’IPA en tant que style de bière distinctif. Elle a permis aux brasseurs de manipuler avec précision les éléments de la bière et d’obtenir le goût caractéristique qui a fait de l’IPA l’une des bières artisanales les plus appréciées et les plus reconnaissables dans le monde brassicole.

Pourquoi la IPA revient aujourd’hui en force?

En 2018, le marché mondial des IPA était évalué à 32 milliards, un chiffre qui devrait atteindre 70 milliards d’ici 2025. Cette ascension fulgurante contraste fortement avec la plongée de l’IPA dans l’oubli à la fin du 19e siècle.

Les raisons de la disparition de l’India Pale Ale sont nombreuses et variées. Les consommateurs ont modifié leurs préférences en faveur de bières plus légères et moins amères, reléguant l’IPA et son goût très amer à l’arrière-plan. La Prohibition aux États-Unis a entraîné une interruption de la production légale de bière, ce qui a eu pour effet de réduire les différents styles disponibles. La standardisation des bières et la réduction de la diversité des styles, y compris l’IPA, sont le résultat de la consolidation de l’industrie brassicole au 20e siècle.

India Pale Ale Histoire
En 2018, le marché mondial de la IPA était évalué à 32 milliards, nombre qui devrait encore monter à 70 d’ici 2025.

Dans les années 90, cependant, nous avons assisté au retour triomphal de l’IPA. Avec le soutien du mouvement de la bière artisanale, on a redécouvert des styles oubliés et les consommateurs ont commencé à rechercher des saveurs audacieuses, notamment celles offertes par les bières fortement houblonnées comme l’IPA.

Dans cette renaissance, c’est grâce aux microbrasseries que l’innovation et la créativité brassicole ont été stimulées, tandis que la popularité croissante de l’IPA peut être attribuée à Internet et aux médias sociaux, qui ont facilité la diffusion d’informations sur les nouvelles bières. En séduisant les amateurs du monde entier, l’IPA est passée d’une bière tombée dans l’oubli à un style emblématique du renouveau brassicole.

Pour en savoir plus sur la IPA


Pierre-Olivier Bussières est l’auteur du podcast Le Temps d’une Bière, producteur de Hoppy History et rédacteur en chef du média Le Temps d’une Bière. Il détient un diplôme d’études supérieures en sciences politiques de l’Université Carleton.

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