Hildegarde de Bingen: Apôtre du Houblon?

Hildegarde de Bingen (1098-1179) est une figure clé de la musique, de la pensée, et de la culture du Moyen âge. Parmi toutes ses nombreux ouvrages, Hildegarde contribue aussi à la bière grâce à l’identification des propriétés antiseptiques du houblon. Dans un certain sens, vous lui devez vos IPAs! Mais qui est donc cette dame?

Une intellectuelle improbable dans un monde d’homme

Née dans la noblesse et fondatrice de son propre monastère à Rupertsberg en 1150, Hildegarde se démarque dans le milieu ecclésiastique par son don de vision et la création de nombreux ouvrages théologiques et scientifiques. Dès l’âge de 5 ans, elle aurait bénéficié de visions et aurait sous les ordres de Dieu, en 1141, désiré entreprendre la rédaction de ces manifestations. Elle en obtiendra l’autorisation par le pape Eugène III et l’abbé Bernard de Clairvaux 6 ans plus tard.

Elle va alors prendre la plume et commencer la rédaction de nombreux ouvrages tels que: Liver Scivias(1150), Liber vitae meritonum (1163), Liber divinorum operatum (1170). Elle est la rédactrice d’ouvrages médicaux tel que: Liber subtilitatum dieversarum naturarum creaturarum qui se scinde en 2 ouvrages : la Physica et la Cause et curare qui signifie en latin les Causes et remèdes. Ces ouvrages ont été peu étudiés car Hildegarde aurait inventé une langue propre qui rendait la lecture difficile. Elle est aussi une compositrice et elle a écrit une symphonie (Symphonia caelestium revelationum), qui selon Jacques le Goff fait partie des chefs d’œuvre des chants grégoriens.

Apôtre du Houblon?

Il est nécessaire de dissiper rapidement le malentendu : non, Hildegarde n’est pas la prophétesse du houblon, tout comme elle ne recommande pas sa consommation pour le plaisir des sens. En réalité, ses commentaires sur la plante sont plutôt modérés : ils ne donnent en aucun cas l’impression qu’elle aurait fait la découverte sensationnelle du moment. Dans son ouvrage “Physica”, elle écrit : “L’amertume du houblon lutte contre certaines fermentations nuisibles dans les boissons et permet de les conserver plus longtemps.” Selon Aubrée Gaudefroid, conservatrice et directrice de la Maison des Mégalithes de Wéris, étant donné l’énorme influence d’Hildegarde en son temps, ses écrits auraient été largement consultés de son vivant, ce qui aurait eu une incidence sur la production brassicole des monastères. Après tout, Hildegarde était elle-même abbesse d’un établissement prestigieux : ses lettres et ses écrits auraient donc rapidement été intégrés dans les principaux centres brassicoles, eux-même des monastères habitués de coopérer.

À l’époque où Hildegarde écrivait, la préservation de la bière posait un véritable défi. Tout d’abord, il ne s’agissait pas vraiment de bière telle que nous la connaissons, mais plutôt d’un mélange fermenté à base de céréales et d’aromates. Dans la culture anglophone, la distinction entre le terme médiéval “Ale” et le terme plus moderne “Beer” est précisément liée à l’ajout tardif du houblon en Angleterre. Pour tenir compte de cette nuance, nous utiliserons donc le terme “cervoise” pour parler de la bière sans houblon.

Ainsi, la cervoise médiévale était aromatisée avec des ingrédients locaux, soit pour des raisons de goût, soit à des fins médicales, soit pour préserver une faible teneur en alcool. Parmi les principaux candidats pour la préservation se trouve le genévrier, qui était très répandu en Scandinavie et est célèbre pour être associé au gin (gin pour genévrier !). En France et en Allemagne, la myrrhe des marais était également souvent utilisée, de même que le romarin sauvage. Les avis divergent sur les variétés exactes de ces deux familles qui auraient été utilisées, d’où la théorie que certaines cervoises pourraient avoir contenu des substances psychoactives puissantes.

Le page Eugène, qui aurait goûté le résultat houblonné, nous donne une idée de ce que l’esprit médiéval aurait pensé d’une IPA moderne:

«Qui est cette femme qui sort du désert telle une colonne de fumée d’épices brûlantes ? » (Pape Eugène III citant Song of Songs 3:6)

Est-ce que Hildegarde brassait de la bière?

C’est aussi elle qui notera (et surtout) diffusera en occident les bienfaits du houblon comme agent de conservation du fait de ses propriétés aseptisantes. Non seulement elle a Hildegarde a étudié méticuleusement le houblon, mais elle l’a même utilisé pour brasser des propres bières! Dans son petit ouvrage Physica Sacra, en 1150, elle écrit:

“Elle est chaude et sèche et a une humidité modérée, et n’est pas très utile à l’homme car elle fait croître la mélancolie dans l’homme et rend l’âme de l’homme triste et alourdit ses organes internes. Mais pourtant, en raison de sa propre amertume, il garde certaines putréfactions des boissons, auxquelles il peut être ajouté, afin qu’elles puissent durer beaucoup plus longtemps.” 

Rajoutant à tout ceci, Hildegarde a eu une relation active avec la haute noblesse. 300 lettres avec Bernard de Clairvaux (un pillier du complexe spirituo-industriel), l’empereur Frédérick Barberousse et Sigebert de Gremblout en témoignent. Hildegarde se verra attribuer plusieurs tentatives de canonisation qui échoueront, mais le culte de ses reliques sera tout de même accepté au 15e siècle. Elle sera officiellement canoniséee en octobre 2012 par le pape Benoit XVI. Cette femme lettrée, décrite comme ayant un tempérament fort et indépendant sera considérée comme une pionnière de la médecine, de la physique, de la musique, de la théologie et de la philosophie de l’église catholique.

Gabriel Côté / Ad medievum Aaternum

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