Les houblonnières représentent une filière méconnue de l’écosystème brassicole québécois. Si on parle souvent des microbrasseries et du terroir, il est bien plus rare qu’on s’attarde à ces cocottes de bière sorties directement de la terre. Et pourtant, cette industrie indispensable vit ses propres opportunités et ses propres défis. Voici l’état d’un marché à la fois prometteur et incertain.

Durant les deux dernières années, le Québec a perdu près de 75 % de son rendement en houblon après la fermeture de plusieurs grandes houblonnières. Certains blâment une demande trop faible, d’autres accusent les caprices du climat. Dans ce contexte, la guerre des tarifs lancée par le président Trump est peut-être le petit coup de pouce qui manquait à cette belle industrie du terroir. 

Dans tout ce débat, quel est l’état du marché actuel et quel est l’avenir du houblon en terre de microbrasserie québécoise?

L’État du houblon au Québec

Selon les données les plus récentes du Ministère de L’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), le Québec regroupe 30 exploitations agricoles productrices de houblon, pour un total de 34 hectares en date de mai 2025. Sur ce nombre, environ le tiers se dédie principalement au houblon.

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En planifiant un taux de rendement conservateur moyen de 750 kg par hectare, le Québec devrait produire 25 tonnes du précieux or brassicole à l’été 2025 selon les calculs du MAPAQ.

Pourtant 4 ans plus tôt, la production totale atteignait les 45 500 kg de houblon séché d’une quarantaine de houblonnières, après 15 années de forte croissance dans le secteur. Qu’est-il arrivé? Fermeture des grandes pointures, inflation des intrants et nouveaux ravageurs parasitaires.

Où pousse le houblon?

Commençons par la base : Le houblon appartient à la famille des Cannabaceae – donc petit cousin du cannabis. Hildegarde von Bingen sera une des premières à noter ses effets antiseptiques. Le houblonnage se répand dans les brasseries d’Europe comme une traînée de poudre au 15e siècle, métamorphosant au passage l’industrie de la bière, mettant pratiquement fin au règne de la bière comme activité domestique. Au Québec, le houblon pousse joyeusement à l’État sauvage dès les débuts de la colonie, assez pour convaincre l’Intendant Jean Talon d’exporter de la bière locale jusqu’aux Antilles!

Depuis, le houblon est synonyme universel de bière.

Poignée cocotte houblon houblonnière
Les cônes de houblon contiennent des huiles et résines, dont deux types d’acides essentiels au brassage : les acides alpha, qui donnent l’amertume lors de l’ébullition, et les acides bêta, plus discrets, qui contribuent aux arômes et à la stabilité de la bière en vieillissant.

La plante a besoin de beaucoup de soleil et d’un sol bien drainé. Vents et humidité sont les ennemis jurés de la vigne, et une plante bien coupée, bien entretenue et bien aérée, poussera vigoureusement. Étrangement le plein de soleil peut aussi rendre la plante infertile : en Floride, pourtant si près de l’Équateur, le houblon fleurit mais ne fructifie pas. Du moins pas sans un bon équipement de lumière artificielle pour aller stimuler la plante. 

En pleine croissance, la vigne peut croître de 30 centimètres par jour. Le houblon peut atteindre une hauteur de plus de cinq mètres en deux mois. Toutefois, on doit attendre la 3e année avant de pouvoir récolter les plants afin de s’assurer que les cônes produits présentent une bonne maturité organoleptique. 

Planter du houblon au Québec : petit kit de démarrage

Au point de vue du terroir, le Québec est en fait plutôt bien situé. Le sud du Québec est à une latitude à peu près similaire à celle de la Tchéquie, où poussent les variétés “nobles” de houblon comme le Saaz. Ces plantes sont réputées nobles pour la seule et bonne raison qu’elles sont parmi les premières à avoir été largement adoptées. Elles sont l’aromate officiel de la pilsner

Samuel Jeanson est agent de développement avec la filière microbrassicole du Québec. Avec l’Association des Microbrasseries du Québec (AMBQ), il suit de près les dernières tendances pour conseiller les microbrasseries dans leurs houblons. “Au Québec, on a des houblons qui poussent très bien, comme tous les houblons en C qui ont la cote en ce moment : les Centennial, Chinook et Cascade, par exemple. 

Récolte houblon saison Québec

Ces variétés sont extrêmement efficaces en climat québécois. Ce sont les houblons typiques de la West Coast, un style qui fait peu à peu son retour dans le marché de la IPA. La variété Eldorado, qui aime aussi nos sols, est aussi un bon choix pour un petit côté fruité. 

Par contre, tout ce bel effort se bute à un problème de poids : l’énorme concurrent américain. Avant l’essor des microbrasseries, le Canada a connu une lourde compression du monde brassicole. Avec la fermeture de la majorité des brasseries indépendantes, les houblonnières ont virtuellement disparu de l’est du Canada et des États-Unis, pour trouver refuge en Oregon, en Idaho et dans l’État de Washington. Ces trois états américains sont aujourd’hui responsables de 97% de la production de houblon en Amérique du Nord. 

Le problème, souligne Mireille de la Houblonnière Lupuline, c’est que houblons québécois comme Cascade, Chinook ou Centennial ne sont pas toujours compétitifs en prix. “Comme nous sommes de petites houblonnières, nous n’avons pas la même capacité de production ni les économies d’échelle des géants américains du Pacifique Nord-Ouest. Ces gros joueurs sont un peu les Molson/Labatt du monde brassicole, mais pour les houblonnières. 

Les cultivars privés sont la propriété d’entreprises qui en contrôlent la production. Ainsi, des variétés comme Citra®, Simcoe®, BravoTM ou Amarillo® ne peuvent être cultivées au Québec sans obtenir l’autorisation de production auprès des propriétaires de droits.

Samuel Jeanson comprend bien pourquoi il est si difficile pour nos houblonnières de surfer sur la bonne tendance au bon moment. “Ça prend 3 à 5 ans avant d’avoir un plant de houblon qui produit, donc c’est difficile, voire impossible, de prévoir une tendance de marché. Ceux qui refont leurs vignes maintenant pour suivre une nouvelle tendance risquent de rater leurs fenêtres d’opportunité.”

“Ce que les houblonnières n’avaient pas prévu, c’était la montée en demande des lagers de type pilsner, qui exigent des houblons de type noble, comme le saaz grâce à la montée en popularité des bières de soif et des lagers mexicaines, plus faibles en alcool.” 

“On a affaire à un jeu du chat et de la souris. La priorité des brasseries est la stabilité du produit, de A à Z. Or, la même houblonnière peut produire un excellent cascade dont les acides alphas baissent de 3% d’année en année, ce qui peut faire basculer les saveurs de tangerine à des saveurs d’ananas.”

Phyl Lafarrière travaille dans les ventes pour Duke 25, une compagnie de distribution de houblon. Il se montre plutôt optimiste quant au marché actuel. Sans nier la différence de taille entre les deux pays, il cite bon nombre de cultivars qui se démarquent bien au Québec. “Des fois, on est capable de faire correspondre nos prix. Par contre, un coût additionnel pour nous, c’est le prix des brevets. Nos amis du Michigan on créé de nouveaux houblons avec une technique de pollinisation ouverte. Ça a donné le Aztec, le Bergamote, le Hydra, le McKanac et l’Emeraude, qui sont très en demande.”

Le marché global du houblon en perte de vitesse

Malgré tout, le petit monde des houblonnières du Québec peine à trouver client, soit par manque de volume, soit par manque de stabilité dans la production. C’est un point sensible : le houblon est généralement l’ingrédient le plus cher d’une bière de microbrasserie.

Même si de plus en plus de microbrasseries se tournent avec optimisme vers le local dans la foulée de la résurgence nationaliste à tendance proenvironmentale, le géant américain demeure l’éléphant dans la brasserie. “Une microbrasserie américaine peut facilement dépenser 500,000 dollars seulement sur le houblon, un chiffre que même certaines microbrasseries québécoises peuvent atteindre, selon Erik Grypinich, de L’AMBQ.” 

D’après l’Observatoire de la Complexité Économique, un groupe qui mesure les catégories d’importations et d’exportations de différents pays, le Canada importerait 3.95 millions de dollars de houblon, contre 10 500 $ en exportations. 

Et à cela s’ajoutent bien sûr les effets cumulés d’une crise économique et sa cascade d’impacts sur tous les plans. Durant les deux dernières années, le Québec a connu une explosion des coûts des intrants, de la main-d’œuvre, au fongicide, en passant par le coût des sacs de plastique qui sont passés de 30 à 45 sous (15 % sur des sous, ça monte vite!). Résultat, deux des plus grandes houblonnières ont rasé leurs vignes. 

La menace des ravageurs continue de peser lourd sur le rendement

Les houblonnières québécoises font aussi face à des défis sanitaires importants, notamment avec l’émergence de la brûlure à halo, une maladie fongique causée par Diaporthe humulicola. Identifiée pour la première fois au Québec en 2020, cette maladie affecte les feuilles et les cônes de houblon, provoquant des lésions nécrotiques entourées d’un halo jaune. Les cônes infectés deviennent friables, entraînant des pertes de rendement pouvant atteindre 50 %.

« On commence à l’atténuer mais on n’est pas sorti du bois », confie Julien Venne de la MAPAQ. Les conditions chaudes et humides favorisent la propagation du champignon, qui hiverne sur les débris de culture. Pour contrer cette menace, l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) a accordé une homologation d’urgence au fongicide Fullback 125 SC pour la période du 1er juin 2024 au 31 mai 2025.

Parallèlement, l’altise du houblon (Psylliodes attenuata), un coléoptère originaire d’Europe, a été détectée en Amérique du Nord il y a deux ans. Cette petite peste est un casse-tête dont les houblonnières auraient bien pu se passer.

Les adultes émergent au printemps et se nourrissent des jeunes pousses de houblon, causant des dommages significatifs au feuillage. Les larves, quant à elles, se développent sur les racines sans causer de dommages notables. En fin d’été, les nouveaux adultes s’attaquent aux cônes en développement, provoquant un brunissement qui peut être confondu avec les symptômes du mildiou.

Altise mange feuille houblon
La altise du houblon est un phénomène récent au Québec. On remarque ses ravages sur des feuilles criblées de trous. Une infection sérieuse peut venir à bout de toutes les pousses terminales d’une plantation.

Face à ces menaces, les producteurs québécois doivent adopter des stratégies de gestion intégrée, incluant la surveillance régulière des cultures, l’élimination des débris végétaux après la récolte et l’utilisation judicieuse de produits phytosanitaires. Une attention particulière aux conditions climatiques et une identification précoce des symptômes sont essentielles pour limiter l’impact de ces ravageurs sur la production de houblon.

Quel avenir pour le houblon québécois?

Pour Mireille de la ferme Lupuline, les guerres tarifaires viennent avec une petite lueur d’espoir en début de saison. Nous lui avons demandé si elle voyait déjà un impact : “Pas encore de façon significative, mais j’ai reçu plusieurs messages de brasseurs curieux pour en essayer. L’engouement provient surtout de l’extérieur du Québec, ce qui nous a ouvert une belle fenêtre sur le reste du Canada.

“J’espère que ce sera une opportunité pour les houblonnières locales, en rendant le houblon importé moins compétitif mais je crois que plusieurs brasseurs vont tout de même continuer à acheter leurs houblons des États-Unis, notamment en raison des profils aromatiques recherchés ou des contrats déjà en place. Il est aussi possible que certains se tournent vers des houblons néo-zélandais comme alternative.”

« Au Québec même, je dirais qu’il y a environ 6 ou 7 brasseries qui se sont montrées plus intéressées dernièrement — ce qui est encourageant. Il y a définitivement une sensibilité accrue à l’idée d’acheter local mais on ne sais pas si c’est ici pour rester ou si ce sera de passage comme l’engouement que nous avons ressenti pendant la COVID.”

Julien Venne, du MAPAQ, voit déjà poindre un bon nombre d’initiatives collectives dans le monde des brasseurs. “Au Canada anglais, on a vu apparaître Glorious and Free, un concept de bière 100% canadienne. C’est la même recette de bière collaboratrice, toujours brassée avec des ingrédients canadiens, mais qui varient d’une province à l’autre en fonction de ce qui est disponible. Justement cette bière-là crée beaucoup de demande pour le houblon québécois.”

Pendant ce temps, les autres bières de « terroir » mettant en valeur des produits locaux ou régionaux, sont en plein essor (Voir Ces brasseries offrent une bière 100% canadienne et Top 5 des Bières 100% Locales au Québec)

La production mondiale de houblon en chiffres

Selon le BartHaas Report, une référence mondiale dans le domaine du houblon, la superficie totale consacrée à sa culture atteignait 60 641 hectares à l’échelle mondiale. Les États-Unis occupaient la première place avec 22 545 hectares, suivis de près par l’Allemagne avec 20 629 hectares, puis par la République tchèque, qui en comptait 4 860.

Cependant, ces chiffres sont en recul depuis quelques années. La superficie mondiale cultivée était déjà en baisse de 3,3 % par rapport à l’année précédente. Au Canada, le marché du houblon a connu une contraction de 13,4 % en 2025 comparativement à 2024.

Quelques houblonnières à découvrir au Québec

Houblonnière Lupuline

Nichée sur l’Isle-aux-Allumettes, sur la rivière des Outaouais, au Québec (Canada), la houblonnière Lupuline est le siège d’une exploitation familiale de 7e génération. La houblonnière bénéficie d’une situation géographique, d’un climat et de conditions de culture qui lui confèrent un terroir unique, avec un total de 7 hectares pour 10 variétés de houblon. Ils sont la première houblonnière de l’est de l’Amérique du Nord à avoir les droits de culture de la variété El Dorado® .

Contact : info@houblonlupuline.com
Adresse : 500 chemin du Rang 5, L’Isle-aux-Allumettes, QC J0X 1M0
Téléphone : 819-431-0179
Site Internet : houblonlupuline.com

Houblon Double LL

Ferme familiale située à Saint-Édouard-de-Lotbinière, Houblon Double LL dispose de 30 000 plants sur 30 actes, incluant 19 variétés sont 4 natives du Québec. La ferme fondée en 2010 cultive plusieurs variétés de houblon, notamment Cascade, Chinook et Centennial, adaptées au climat québécois. Les houblons sont transformés sur place en pellets T90, séchés, purgés à l’azote et stockés à froid pour préserver leur fraîcheur.

Contact : info@houblondoublel.com
Adresse : 1353 rang Saint-Charles Est, Saint-Édouard-de-Lotbinière, QC G0S 1Y0
Site Internet : houblondoublel.com

La filière du houblon au Québec en cinq statistiques

  • 25 tonnes : la quantité de houblon attendue pour l’été 2025 à travers les houblonnières du Québec.
  • 30 houblonnières : le nombre total de houblonnières enregistrées auprès du ministère de l’agriculture comme productrice de houblon.
  • 750 kilogrammes : la moyenne conservatrice de rendement par hectare
  • 500,000 $ : le prix annuel moyen payé par certaines des plus grandes microbrasseries américaines, seulement en houblon
  • 203 tonnes de houblon importées en 2021 :En 2021, le Québec a importé environ 203 tonnes de houblon, dont une portion significative de cultivars protégés comme Citra®, Simcoe® ou Amarillo®, qui ne peuvent être cultivés localement sans autorisation.

Références sur le marché du houblon

  • Association des microbrasseries du Québec (AMBQ): ce regroupement officiel des microbrasseries du Québec continent plusieurs pages de référence sur le houblon du Québec, y compris des bonnes pratiques d’entreprise et des technologiques phytosanitaires.
  • Ontario Ministry of Agriculture, Food and Rural Affairs: For brewers interested in local varieties, the ministry offers a guide detailing hop varieties grown in Ontario.
  • Small Farm Canada: An article highlights a resurgence in Canadian hop production, driven by the craft brewing industry’s demand for locally sourced ingredients. ​
  • Brewers Journal: une autre référence sur le monde de la bière, et qui s’intéresse de près à tous les secteurs du marché.

Le Temps d'une Bière Pierre-Olivier Bussières

Pierre-Olivier Bussières : chroniqueur pigiste et analyste de risque, Pierre s’intéresse aux marchés de l’alcool et aux technologies disruptives. Il a notamment écrit pour Global Risk Insights, the Diplomate, La Montagne des Dieux, Diplomatie, Reflets et Impact Campus.

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