La psilocybine : ce que le science dit

psilocybine

Depuis quelques années, un obscur composé chimique a pris d’assaut les réseaux sociaux. La psilocybine, l’agent psychoactif principal des champignons “magiques” est sorti de l’ombre après une série de tests cliniques aux résultats absolument incroyables. D’un côté, les défenseurs de la liberté psychédélique y voient le signe d’une future révolution de la conscience humaine, la communauté médicale détecte un potentiel pour traiter la dépression et la dépendance.

De tout temps, la psilocibyne a suscité les débats les plus hallucinants. Des chercheurs comme l’ethnobotaniste Terrance McKenna et Paul Stamets, aux États-Unis, soutiennent que les humains auraient coévolué avec des champignons hallucinogènes. Selon la théorie du Stoned Ape forgée par Terrance Mckenna dans le livre Foods of the Gods, la transition de l’homo erectus vers l’homo sapiens, il y a 100,000 aurait été causée par la consommation habituelle de psylocibe cubensis. Incidemment, ce champignon est maintenant la principale source de psilocibine au monde.

Le champignon a l’origine des années hippies

Si le débat fait rage entre les archéologues et mycologues, c’est en partie à cause des difficulté de s’appuyer sur des composés organiques remontant à aussi loin. Par contre, les champignons psychédéliques ont belle et bien causé une révolution: celle des années soixantes…

En 1938, le chercheur Américain Roberts Evans Schults est le premier occidental contemporain à témoigner de la puissance du champignon.Par la suite, le mycologiste amateur “découvre” le champignon chez les Mazatecs dans la région d’Oaxaca au Mexique. En 1955, le banquier et mycologiste amateur Gordon Wasson et sa femme rencontre une prétresse shamane, Sabina, qui leur fait goûtter le champignon. Gordon décrira le tout dans un article du Times, lançant ainsi le bal de touristes psychédéliques en Mésoamérique.

C’est le chimiste suisse Albert Hofmann qui réussit, en 1958 à isoler la psilocine à partir du champignon Psilocybe mexicana. Hofmann était déjà célèbre pour avoir synthétisé le LSD en 1938. À l’époque, la recherche sur les substances psychédéliques se concentraient sur la Mésoamérique, encore teintée par les préjugés coliniaux des premiers récits de conquistaros espagnols. D’abord les anthropologues, puis les ethnobotanistes américains et européens ont commencé à s’intéresser au mode de vie quotidien de peuples autochtones vivant du Mexique à l’Amazonie, notant au passage l’utilisation de substances comme l’ayahuasca et le peyotl.

Timoty Leary, encore chercheur à Harvard, essaie le champignon au Mexique, retourne à l’université en homme changé et fonde le Harvard Psilocybin Project. S’en suit une décennie de folles expérimentations. En laboratoire, les universités américaines (parfois aidées par la CIA) synthétisent et testent de nouveaux composés chimiques. En quelques années à peine, ces drogues nouvelles sont dans la rue. Les années soixantes sont les enfants d’un champignon du Mexique.

Qu’est-ce que la psilocybine?

La psilocybine est le principal agent psycoactif du genre des champignons psilocybe, qui regrouperait plus de 200 espèces. de tailles variables, les champignons psychédéliques (Psilocybine) ont généralement des chapeaux de couleur beige clair à blanc cassé ainsi que des tiges blanches à brunes, parfois avec une teinte bleuâtre. Une espèce couramment étudiée est le Psilocybe cubensis ; cherchées pour leur excitation de l’imagination et des sens, les sous-espèces “Golden Teachers” sont très appréciées au sein de cette espèce.

Parmi les champignons magiques les plus populaires et couramment utilisés aux États-Unis et en Europe, ceux contenant de la psilocybine jouent un rôle important, ils ont une histoire ancienne dans les rituels spirituels et religieux. En tant que composés actifs principaux de l’amanite tue-mouches (ne pas confondre avec le Psilocybe cubensis), on retrouve la muscimole, l’acide iboténique et la muscarine. À l’encontre des suppositions habituelles, ce n’est point la psilocybine qui occupe le statut central en tant qu’élément psychotrope, mais bel et bien le muscimole.

Comment agit la psilocybine?

C’est la psilocine qui est responsable des effets hallucinogènes du champignon psilocybe. Bien qu’il existe plusieurs façons de consommer le champignon, les effets durent généralement de trois à six heures et se divisent en quatre étapes: l’ingestion, le début, le zénith et le retour. 

Lors de l’ingestion par l’homme, la psilocybine est métabolisée par le corps pour créer de la psilocine par un processus de dephosphorylation.

Les hallucinations commencent généralement après 30 minutes, mais touchent à leur zénith après deux heures. Parmi ceux-ci, on recense de puissantes hallucinations visuelles, un sens déformé du temps et de la réalité, un flu augmenté des idées et une amplification profonde des émotions. Intéressemment, plusieurs ont décrit leur expérience comme une dissolution de l’ego, expérience définie par la rupture de la frontière entre soi-même et le monde. On parle aussi souvent du souvenir de naître, d’un sentiment d’émerveillement durable et d’une expérience divine. Dans l’une des études les plus citées, plus de 80% des candidats ont décrit l’expérience comme l’une des cinq plus importantes expériences de leur vie.

Ce que la science en dit

Les effets de la psilocybine sur le cerveau humain sont mesurées par leur effets sur certains neurotransmetteurs. Les dernières recherches ont identifié un neurotransmetteur qui serait particulièrement susceptible à la psilocybine : le recepteur 5-HT2A  de la sérotonine. Ce récepteur joue un rôle clé dans les processus cognitifs. De nombreuses maladies et troubles mentaux sont directement liés au “2A”. La sératonie, quant à elle, joue un rôle important dans la régulation des des émotions. Après une seule consommation de psilocybine, ces neurotransmetteurs deviendraient plus sensibles à certain signaux électriques, réduisant potentiellement les signaux de douleur et aidant potentiellement à réguler les émotions.

Le paysage de la recherche sur la psilocybine est actuellement vaste grâce à plus de 1000 études réalisées jusqu’à présent. Parmi ces études figurent environ 27 000 autres études portant sur les drogues hallucinogènes dans le cadre d’un corpus mondial. L’étude qui a sans doute fait le plus de remous sur la psilocybine remonte à 2006. Une étude significative en 2006 dirigée par Roland Griffiths et son équipe à l’Université Johns Hopkins, intitulée “La psilocybine peut provoquer des expériences de type mystique”, a joué un rôle décisif dans cette tendance.

L’étude s’est concentrée sur des individus intéressés par la spiritualité n’ayant jamais essayé de psychédéliques auparavant, examinant les effets de fortes doses de psilocybine. Les résultats ont montré que la psilocybine induisait de manière fiable des expériences mystiques similaires à celles historiquement rapportées par les mystiques. Les participants ont décrit ces expériences comme étant profondément significatives sur le plan personnel et spirituel. Ces expériences mystiques sont étroitement liées aux bénéfices durables rapportés dans différentes études, caractérisées par des émotions positives, un sentiment d’unité et un renouveau du sens de la vie.

Depuis, de nombreuses recherches ont mesuré le bénéfice d’adjoindre la psylocibine à des thérapies déjà éprouvées En ordre de corroboration, les thérapies ou la psylocibine s’est montrée le plus efficace ont été :

1: Traitement contre la dépression 

  • Étude de Roland Griffiths et al. (2016) : À l’Université Johns Hopkins, cette étude dirigée par Roland Griffiths et son équipe analysera les conséquences de la psilocybine en ce qui concerne la dépression observée chez des individus ayant le cancer. Des améliorations notables et durables sur l’humeur et la qualité de vie des patients ont été constatées grâce à une administration contrôlée de psilocybine, tel que publié dans le “Journal of Psychopharmacology”. Suite au traitement, un constat est fait : les effets continuent de se manifester pendant une période de six mois, ce qui laisse penser qu’il y a une possibilité d’influence prolongée de la psilocybine sur la dépression. Précisons: la durée de l’effet thérapeutique et l’absence de rechute est en passant un des  “nerf de la guerre” de la recherche sur les thérapies qui marchent en dépression.
  • Étude de Carhart-Harris et al. (2018) : L’exploration des effets de la psilocybine sur la dépression résistante au traitement a été entreprise par Carhart-Harris et son équipe à l’Imperial College de Londres. Dans le “Journal of Psychopharmacology”, l’étude a été divulguée, indiquant que les symptômes dépressifs chez les patients ayant une résistance aux traitements conventionnels pouvaient être significativement amoindris par la psilocybine. Des changements neurologiques sous-tendus pouvant être favorisés par la psilocybine ont été révélés par les résultats, susceptibles d’améliorer l’humeur.

2: Traitement du syndrome post-traumatique 

  • Étude de Mithoefer et al. (2018) : Dans leur étude dirigée par Mithoefer et son équipe, l’évaluation de l’efficacité de la psilocybine dans le traitement du trouble de stress post-traumatique (TSPT) fut réalisée. La psilocybine associée à la thérapie psychologique a été démontrée comme une réduction significative des symptômes du TSPT chez les vétérans, tels que rapportés dans “Psychopharmacology”. Les effets bénéfiques se sont maintenus sans relâche pendant une longue période de plusieurs mois.
  • Étude de Ot’alora et al. (2018) : Une étude sur l’utilisation de la psilocybine afin de traiter le TSPT chez les femmes a été réalisée par des chercheurs, dont Ot’alora. De manière significative, les résultats indiquent dans “Psychopharmacology” que les symptômes du TSPT peuvent être réduits par la psilocybine, améliorant ainsi la qualité de vie. Les participants, après avoir reçu une seule dose, ont rapporté des améliorations qui durent dans le temps.

3: Traitement contre la dépendance

  • Étude de Bogenschutz et al. (2015) : En ce qui concerne le traitement de la dépendance à l’alcool, Bogenschutz et son équipe ont procédé à l’examen de l’utilisation de la psilocybine. Montrant ses résultats dans le “Journal of Psychopharmacology”, l’étude énonce que la psilocybine est capable d’aider à la diminution de la consommation d’alcool et au maintien des bénéfices sur une période prolongée.
  • Étude de Dakwar et al. (2014) : Pour le traitement de la dépendance au tabac, une recherche sur l’utilisation de la psilocybine fut entreprise par plusieurs scientifiques, Dakwar inclus. Publiés dans le “Journal of Psychopharmacology”, les résultats ont montré que la psilocybine se montre efficace pour diminuer les envies de fumer et favoriser un arrêt du tabac réussi chez les participants.

Les débuts d’une légalisation

Au Canada comme aux États-Unis, la psylocibine est classifiée comme une drogue n’ayant aucun bénéfice médical, et donc sujet à l’interdiction complète par les autorités. Ainsi, la psilocybine et – son auxiliaire la psilocine – font l’objet d’un contrôle international en vertu des Conventions de Contrôle des Drogues des Nations Unies et, au Canada, en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS).

Cependant, à la lumière des effets stupéfiants des résultats médicaux, quelques villes américaines, voire quelques États commencent à lever l’interdit. AInsi, Denver et Oakland seraient devenues les deux premières villes à décriminaliser le champignon magique. Les mesures mises en place ont mis fin aux investigation et aux pénalités liées à la posessession d’enthéogènes comme certains champignons hallucinogènes, certains cactus et la plante iboga.

Au Canada, la psylocibine est encore au registre des substances interdites. En janvier 2023, Santé Canada a donné son approbation pour l’usage de psilocybine à des fins thérapeutiques dans le cadre de son Programme accès spécial. La clinique Roots To Thrive, en Colombie-Britannique, à été le premier centre de santé au pays à offrir légalement une thérapie de groupe à la psilocybine.

Peu après, nn mai 2022, un premier patient au Québec a été traité avec la psilocybine. Toutefois, toute autre consommation au Canada, y compris pour le microdosing, demeure interdite. La pratique du microdosing consiste à prendre, selon un horaire strict, des doses minuscules pour des périodes de plusieurs mois. Très populaire dans la Silicon Valley, la pratique est notoirement encouragée par certains podcasteurs et personnalités américaines.

La psilocybine serait un vieux compagnon

Si l’imaginaire populaire s’est rapidement enflammé à l’égard de la particule magique, c’est en partie parce qu’elle touche à un archétype culturel aussi vieux que le monde. Des peintures rupestres datant de plus de 9 000 ans à Tassili N’ajjer en Algérie montrent un chaman en plein rituel de danse, les mains chargées de champignons, dans ce qui semble être une technique d’extase rituelle. Pour l’ethnobotaniste Terence McKenna, c’était une preuve que la civilisation avait été fortement influencée par la particule magique. Bien que cette théorie soit fortement critiquée (sommes-nous vraiment certains qu’il s’agit de champignons hallucinogènes?), de nombreuses représentations du champignon parsèment la Mésoamérique. Au Guatemala, des champignons anthropomorphes vieux de plus de 3 000 ans ont également été associés au genre psilocybe. Le chercheur et spécialiste américain en classiques, Carl A.P. Ruck, a théorisé dans son ouvrage “Le Culte de Mythra et le Champignon” que les champignons hallucinogènes auraient joué un rôle central dans l’une des sociétés initiatiques les plus célèbres sous l’Empire romain, théorie qui a d’ailleurs été reprise pour les mystères d’Éleusis.

Psilocybine Terrance McKenna
Une des plus vieilles peintures rupestres montre un homme constellé de champignons. Pour l’ethnobotaniste américain Terrance McKenna, cela ne fait aucun doute : les champignons psychédéliques sont facilité le passaged de l’homo erectus à l’homo sapiens

Si tu meurs avant de mourir, tu ne meurs pas quand tu meurs

Citation du monastère de Saint-Paul, tiré du livre de Brian Muraresky sur les rites initiatiques anciens

On l’a appelé Saint-Graal, élixir de longue vie, ambroise. Chaque culture a eu ses mythes par rapport à une particule divine qui rend égal à Dieu. La civilisation occidentale en est à ce point bourrée qu’on a tendance à oublier que les drogues ont accompagné les débuts de la religion, stimulé l’adoption de l’agriculture et financé l’État moderne.

Buvez, car ceci est mon vin, cette phrase qui fut mille ans durant la devise de l’Occident, est un écho pas si distant d’un vieux dicton sur Dionysos, le Dieu grec de la folie et de la fertilité. Boire le vin de Dionysos, c’était, dans l’imaginaire grec, devenir Dionysos lui-même. Bien avant les Grecs, le Rig Veda a décrit le soma qui fait oublier tous les ennuis et rend comme Dieu. Dans la tradition zoroastrienne, le huma, une copie presque exact du Soma.

Balado original sur la psilocybine

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