Óðrœrir : la légendaire boisson d’Odin

La légende de l’hydromel inspirateur, le fameux Óðrœrir, occupe une place importante dans le patrimoine culturel scandinave et continue d’inspirer la littérature, l’art et la musique. Elle a également été reprise par les partisans de la culture nordique et par les mouvements paganistes modernes, qui voient dans cette légende une source d’inspiration pour leurs croyances et leurs pratiques.

L’association du grand patron du panthéon scandinave, le dieu Odin, avec un breuvage enivrant est loin d’être innocente. Ce lien, vital tout au long du récit, présuppose la licence divine de l’ivresse rituelle, voire son obligation. Ainsi, le mythe révèle une attitude particulièrement encline à la consommation excessive. Ce faisant, le récit sert aussi d’avertissement et de cadre à ces mêmes excès. Odin, qui patronne une boisson littéralement divine, est néanmoins réduit à un bouffon, un apatride et un renégat pour avoir abusé de ses pouvoirs. Celui qui tantôt fait l’éloge de la boisson, tantôt prêche la sobriété, incarne le caractère ambivalent de l’alcool dans la société scandinave archaïque.

D’ou vient l’histoire de Óðrœrir?

Deux légendes nous sont parvenues à propos du mythe de l’hydromel béni. L’une dans les mots savants de Snorri Sturluson, capturés dans les pages de la Jeune Edda, l’autre dans les poèmes de l’Ancienne Edda.

Le premier livre raconte comment Odin, le dieu des dieux, a volé les secrets de la poésie pour apporter sagesse et beauté à Asgard, son royaume céleste. Le second livre, plus ancien, chante les louanges de cet hydromel magique, véritable nectar des dieux, qui donne à ceux qui le boivent une vision plus claire du monde et une inspiration divine. Deux histoires envoûtantes, tissées dans les fils de la mythologie nordique, qui nous parlent du pouvoir de l’art et de la beauté, et de l’importance de la connaissance et de la sagesse dans la vie des hommes.

Odin Óðrœrir
La chasse sauvage d’Odin par Peter Nicolai Arbo (1872)NATIONAL MUSEUM, NORWAYCC BY-NC-SA 4.0

Odin, buveur suprême

La légende a commencé à Asgard, le royaume des dieux. Parmi eux se trouvait Odin, le dieu suprême, père de tous les dieux et de tous les Hommes. A la fin d’une longue guerre entre Asgard et Vanaheim, les dieux des deux camps se réunirent pour une trêve et crachèrent ensemble dans un grand chaudron. De ce crachat divin est né Kvasir, le premier des hommes. Kvasir, qui signifie le moût de fruit, a parcouru le monde et a gagné la réputation d’être le plus sage des hommes, donnant connaissances et conseils.

Un jour, Kvasir s’aventura chez deux nains, Fjalar et Galar, qui l’invitèrent dans leur maison. Avides de sa sagesse légendaire, les deux frères tuèrent le malheureux voyageur et tentèrent de dérober son secret. Ils coupèrent Kvasir en morceaux et préparèrent une boisson merveilleuse, qu’ils appelèrent l’hydromel de la sagesse, qu’ils mirent dans trois énormes chaudrons. Ils créèrent ainsi Óðrœrir, la boisson qui apporte folie et inspiration.

Lorsqu’Odin entendit parler de la création de cette arme d’inspiration massive, il perdit la tête et s’attaqua à ce breuvage avec toute la ruse, l’astuce et la malice dont il était capable.

Mais un malheur ne vient jamais seul, et les deux nains Fjalar et Galar n’étaient pas en reste. Ils invitèrent bientôt deux géants à leur montrer leur potion et à les passer par l’épée. Le frère aîné des géants, Sutur, exigea une compensation et, pour sauver leur vie, les deux frères durent lui donner la boisson convoitée. A peine créé, l’hydromel d’inspiration perturbait déjà le cosmos. Et bientôt, ce serait Odin lui-même qui viendrait réclamer son dû…

Odin, qui avait déjà une mauvaise réputation, partit déguisé à la recherche du géant. Odin trouva le géant dans un champ, supervisant le fauchage de son foin par 9 esclaves. Inspiré par l’appât du gain, Odin proposa d’aider les esclaves à faucher le foin au point que le grain s’empilerait de lui-même. Odin, qui avait déjà une mauvaise réputation, partit déguisé à la recherche du géant. Odin trouva le géant dans un champ supervisant le fauchage de son foin par 9 esclaves. Inspiré par l’appât du gain, Odin proposa d’aiguiser la fauche des esclaves au point que le grain s’empilerait tout seul.

Mais il imposa au groupe une condition aussi mesquine que cruelle : les esclaves devraient se battre en eux-mêmes pour gagner cet outil miraculeux. Aucun ne survécut, et Odin proposa au géant de les remplacer tous au travail en échange d’une gorgée d’hydromel. Aussitôt promis, aussitôt trahi. Le géant refusa d’honorer son pari. Son autre frère donna le précieux liquide à sa fille Gunluk, mais accepta de permettre une visite d’Odin. Le Dieu, se déguisant à nouveau, séduisit la jeune fille et partagea son lit pendant trois nuits. Profitant de son sommeil, il but goulûment les trois énormes récipients, mais surpris dans son délit, il se transforma en aigle, saisit le dernier récipient avec ses serres, et s’envola vers Asgard.

Le courage, l’idiotie et la fourberie sont au cœur de cette étrange ode qui retrace la jeunesse d’un Dieu fou. En ce temps-là, l’hydromel de l’inspiration jetait son ombre sur les concours de chant, les réceptions dans les grandes salles et les abus des fêtes de guerre.

Ressources

Pour en savoir plus

Leave a Reply