Alcool et diplomatie à travers l’histoire

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C’est un fait bien connu : l’alcool rassemble les amis, rapproche les ennemis, scelle des pactes et fait saliver les espions. Depuis l’antiquité jusqu’aux temps modernes, l’alcool a été un élément clé des rites sociaux à l’origine des civilisations. Certains chercheurs pensent même que c’est la création de boissons intoxicantes aux fins religieuses et festives qui auraient catalysé l’adoption de l’agriculture.

Les Romains avaient une coutume appelée “Vinum Deductum” lors de la conclusion d’accords de paix. Lorsque deux parties parvenaient à un accord, elles partageaient un verre de vin pour sceller la paix. Cela symbolisait l’engagement mutuel à maintenir la paix. Cet usage est documenté dans diverses sources, notamment les écrits de l’historien romain Tite-Live.

l’Historien romain Tite-Live a documenté la conclusion de l’alliance entre Rome et Carthage (connue sous le nom de “Pacte de Foi Publique”), IIIe siècle avant J.-C. Les représentants des deux parties ont partagé du vin et ont sacrifié ensemble. Cela a été documenté par les historiens antiques comme Tite-Live.

Alexandre le Grand, le célèbre conquérant grec, était connu pour utiliser le vin de manière stratégique dans ses campagnes militaires et dans ses relations diplomatiques. Lors d’une rencontre avec le roi perse Darius III avant la bataille d’Issos en 333 av. J.-C., Alexandre partagea du vin avec Darius pour tenter de négocier la paix. Cependant, la négociation échoua, et la bataille s’ensuivit. Cette rencontre est décrite par l’historien grec Arrien dans ses “Anabases d’Alexandre”.

L’accord de paix de Nicias (421 av. J.-C.) met en lumière l’importance du vin dans les négociations diplomatiques de l’Antiquité grecque. Cet accord mettait fin à la guerre du Péloponnèse pendant une brève période. Lors de la conclusion de cet accord, des libations de vin furent versées comme un rituel symbolique de paix. Thucydide, l’historien grec, fait référence à cet événement dans son ouvrage “Histoire de la guerre du Péloponnèse”.

Hydromel et diplomatie chez les Vikings

Chez les viking, l’hydromel était absolument une affaire d’État. en fait toute la société tournait autour de la production et de la distribution d’hydromel. Un chef réaffirmait souvent son leadership en saoulant tout le monde dans le hall avec une quantité astronomique d’hydromel. Contraitement à la croyance populaire qui veut qu’avoir un casque à corne et une barbe veut dire engloutir 10 pintes par jour, les vikings étaient pas des ivrognes. C’est juste que quand venait le temps de boire, il fallait boire. Dire non était pas super accepté.

Les sagas islandaises, telles que la Saga d’Egil Skallagrímsson, font référence à l’hydromel comme une boisson importante dans les réunions diplomatiques et les festivités. L’hydromel était souvent offert en signe d’hospitalité et de paix.

l’alcool était aussi une façon de lier des amitiés durables avec des étrangers. Aussi était-il d’usage de présenter le meilleur vin, ou la première bière, à l’invité d’honneur. De la Mésopotamie à l’Extrême-Orient, des puissants rituels sociaux entouraient les règles d’hospitalité.

Boire avec l’ennemi : la diplomatie de l’alcool

On ne prend pas seulement un verre avec ces amis ou ces partenaires, mais on en prend aussi un avec ses ennemis et ses adversaires. Cela a été observé dès le Moyen Âge lors des guerres européennes, où les soldats se tapaient dans les tranchées pendant que les officiers ennemis, quant à eux, se rencontraient en sirotant un bon vin.

En 1812, des officiers britanniques avaient invité des membres de la milice américaine lorsque qu’un messager est arrivé avec la nouvelle d’une guerre imminente. Ils se sont tournés vers les Américains et ont dit : “Eh bien, il semble que nous allons nous battre, mais pas avant d’avoir terminé notre verre.” La milice est repartie, et ils se sont serré la main.

Un siècle plus tard, pendant la Première Guerre mondiale en 1914, à Noël sur le front de l’Ouest, des soldats allemands et des soldats britanniques sont sortis des tranchées pour se rencontrer dans le No Man’s Land, écouter des chansons de Noël et trinquer ensemble. Les soldats allemands ont offert quelques bouteilles de vin aux Anglais, et ils ont même joué un match de football.

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Incroyablement, des soldats anglais et allemands auraient partagé un moment de paix pour le temps d’une bière à Noël 1914. Après avoir écouté ensemble des chansons de Noël, les soldats auraient même joué à un match de foot!

La paix liquide avec Staline

Alors que les Alliés commencent à reprendre du terrain à l’Allemagne nazie grâce au débarquement en Normandie et à la fulgurante bataille de Stalingrad, les trois grandes puissances cherchent à se rencontrer pour s’entendre sur la fin de la guerre, établir les plans de l’après-guerre et éviter ce que tout le monde craint : un affrontement cataclysmique avec l’Union Soviétique, qui ambitionne de prendre par la force une grande partie de l’Europe.

La confiance n’est pas au rendez-vous. Ces anciens ennemis ont peu d’affinités les uns pour les autres. Pourtant, une entente est vitale. Les succès contre l’Allemagne ne sont pas assurés. C’est ainsi que Winston Churchill, le chef de guerre en fin de carrière du Royaume-Uni, et Joseph Staline, l’insondable secrétaire général de l’Union Soviétique, se rencontrent à Moscou, puis à Téhéran. Toutes ces conférences sont abondamment arrosées d’alcool, chaque rencontre se déroulant dans une épaisse atmosphère de fumée de cigare.

E 1943 se déroule la rencontre historique à Yalta. Winston Churchill, Franklin D. Roosevelt et Joseph Staline ont pu échanger sur le sort à réserver à l’Europe après la guerre. Par son caractère subtil mais important, l’alcool a joué un rôle lors de la conférence. Roosevelt, confronté régulièrement à des problèmes de santé, ressentait souvent le besoin de se détendre après de longues conversations.

Grâce aux discussions informelles accompagnées de martinis partagés quotidiennement avec Churchill, il réussissait non seulement à tisser des liens, mais aussi à apaiser les conflits. De l’autre côté, ces moments de détente ont joué un rôle déterminant dans la création d’une amitié entre les dirigeants, facilitant ainsi les négociations et la formation de compromis en vue de la construction du monde d’après-guerre.

Cependant, on sous-estimait Staline. En Russie, existe une longue tradition de diplomatie excessive basée sur la consommation d’alcool, et Staline est un fier défenseur de la tradition.

À la Cour de Russie, les tsars russes se sont souvent fait un malin plaisir à faire boire outrageusement les visiteurs étrangers pour tester leur résilience. Si bien qu’un ambassadeur espagnol décida de prendre un peu d’avance. En 1728, à Saint-Pétersbourg, le duc de Liria, un ambassadeur espagnol, chercha à créer un tel club à la cour de Pierre II. Il devait être appelé l’« Ordre de l’Anti-Sobriété ».

En Russie, jusqu’au tout début des années 2000, accepter un verre, c’était tacitement accepter tous les autres toasts qui suivaient. Le chef tout puissant de l’Union soviétique était connu pour aller vodka, diplomaie et espionnage. Dans de véritables bachanales aux saveurs de marxisme-léninisme, Staline testait la loyauté de ses plus proches collaborateurs en leur déliant la langue avec moult libations.

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En 1943, Churchill visite Staline à Moscou pour négocier la coopération militaire. Les relations sont au point le plus bas. Staline est impatient de voir un second front apparaître en Europe pour soulager l’Armée Rouge. Churchill et Staline auraient bu jusqu’aux premières lueurs du jour pour trouver une solution.

Staline s’inscrit non seulement dans cette vieille pratique, mais il est également d’origine géorgienne. Les Géorgiens ont une tradition d’hospitalité appelée le “supra”, où l’hôte doit absolument fournir une table abondamment garnie et rivaliser avec ses invités pour proposer les meilleurs toasts. Le “supra” est un banquet suprême destiné à honorer les convives et à mettre en valeur les qualités de l’invité d’honneur. Une autre tradition russe veut qu’on ne laisse jamais une bouteille vide sur la table, car cela est censé porter malheur. On la place plutôt sous la table pour éviter tout inconvénient.

Staline préférait son vin géorgien, mais il ne se privait pas de lancer plusieurs toasts à ses invités. Pour lui, les toasts étaient une arme de répression efficace contre son entourage. Après la guerre, alors qu’il vieillissait, qu’il souffrait de problèmes de santé et qu’il devenait paranoïaque, ses “petites soirées” étaient redoutées au sein du Politburo.

Tout le monde craignait l’appel du camarade Staline, annonçant qu’il voulait prendre un verre ou deux. On savait pertinemment qu’il ferait boire à l’excès chacun de ses proches camarades, du lundi au dimanche. Nikita Khrouchtchev, qui lui succédera plus tard, a avoué avoir été traumatisé par ces soirées arrosées qui se terminaient en beuverie.

Sommet de la bière en Chine

Remontant à la période des Royaumes combattants (475-221 av. J.-C.), l’utilisation précoce de l’alcool dans un contexte diplomatique en Chine se révèle comme l’un des exemples les plus anciens en la matière. Cela se manifeste à travers un événement historique appelé le “banquet des cent écoles”, un rassemblement unique où les représentants d’une multitude d’écoles de pensée philosophique étaient conviés. Au cœur de cet événement résidait la possibilité pour ces érudits de se rencontrer, de débattre passionnément et de partager leurs idées novatrices. Ça nous rappelle le symposium.

Dès le début, une transgression liée à l’alcool était considérée comme la pire sorte de faux pas diplomatique : lorsqu’un émissaire du royaume de Lu offrit à un roi rival un vin jugé moyen, cela déclencha une série d’événements qui aboutirent à deux guerres calamiteuses.

La relation entre les États-Unis et la Chine au début des années 1970 était marquée par la tension et la méfiance mutuelle. Cependant, un catalyseur inattendu pour le rapprochement diplomatique a émergé lors des Championnats du monde de tennis de table à Nagoya, au Japon. Ce qui a conduit à un voyage historique, c’est l’invitation de l’équipe chinoise à l’équipe américaine pour visiter la Chine.

Lors d’un banquet officiel orchestré par le Premier Ministre chinois, Zhou Enlai, les convives des deux camps se sont levés pour trinquer et partager diverses boissons, telles que le Mao Tai, un alcool puissant originaire de Chine. En raison de la détente des barrières provoquée par une atmosphère informelle et le plaisir partagé de l’alcool, les fondations des négociations diplomatiques ultérieures ont été jetées. Cela a finalement conduit à la visite du président américain Richard Nixon en Chine et à la normalisation des relations entre ces deux pays.

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Richard Nixon et Zhou Enlai partagent un moutai, la boisson alcoolisée la plus consommée au monde, lors d’un sommet historique pour relancer la relation entre les États-Unis et la Chine.

En fin de compte, l’alcool a joué un rôle surprenant mais crucial dans le monde de la diplomatie à travers les siècles. De l’Antiquité aux temps modernes, cette boisson a servi de pont entre les nations, rapprochant des ennemis, consolidant des alliances et facilitant les négociations. Des rituels symboliques de partage d’alcool lors de la conclusion de traités de paix à l’utilisation stratégique de l’alcool lors de rencontres diplomatiques tendues, l’alcool a été bien plus qu’une simple boisson. Il a été un outil puissant pour créer des liens, favoriser la compréhension mutuelle et, dans certains cas, établir la paix.

De Rome à la Chine en passant par les Vikings et l’Union Soviétique, l’alcool a transcendé les frontières culturelles et géographiques pour jouer un rôle inattendu mais essentiel dans la résolution des conflits et la promotion de la diplomatie. Les rencontres autour d’une table bien garnie et de verres levés ont souvent ouvert la voie à des accords historiques et à des amitiés durables. Au fil des siècles, l’alcool a montré qu’il pouvait être bien plus qu’une simple boisson ; il pouvait être un instrument de paix, de négociation et de rapprochement entre les peuples.

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