Pour le temps d’une bière, je me suis rendu dans la capitale du Mexique pour explorer ses saveurs houblonnées, connaître ses tendances brassicoles et déambuler dans son dédale de boissons locales. Au menu : de l’IPA au mescal, la boisson historique des dieux aztèques, le mythe de la Vienna Lager. et l’empereur du Mexique Maximilien d’Autriche…
Un petit mot sur la ville de Mexico (DF “Distrito Federal” pour les intimes.) C’est E-NO-RME. 22 millions de personnes se partagent l’agglomération qui était autrefois un amas de lacs où les jardins flottaient littéralement. Construite sur les ruines d’une des mégapoles aztèques, la ville a drainé l’eau, pavé le sol et construit des gratte-cielgobe. De ce fait, DF s’enfonce chaque année d’une vingtaine de centimètres dans la terre. J’en ai parlé avec mon habituel catastrophisme (moi et mon imagination, vous savez) à des amis locaux. “Qu’en pensez-vous ? Ça ne vous fait pas un peu peur ?” et ils m’ont répondu : “Oui, oui, tout va s’effondrer”. Sourire. Un haussement d’épaule. Ainsi va la vie.
La deuxième chose que je remarque, c’est le festival permanent de couleurs, de klaxons, de soleil et de terrasses kaléidoscopiques. Une dame particulièrement énergique criait le mot matelas à tue-tête tôt le matin et no pasa nada. Il y a une gaieté dans la rue que les mots sont impuissants à décrire, surtout pour votre podcasteur québécois au lendemain d’une nuit de dégustation de IPA au mescal.
Las cervecerias
Il y a ensuite les microbrasseries, les cervecerias, comme on dit ici. À noter que de nombreux bars à bières artisanales s’appellent aussi cervecerias, tandis que les vraies cervecerias sont parfois aussi appelées brewpubs, même en espagnol. Un peu complexe, mais on s’y retrouve assez vite : IPA obligatoires, stouts et pilsners. Au pays de la corona, il me semble pourtant que la bière artisanale reste un défi. Eduardo, gérant du bar El Trappist où je suis allé déguster trop de bière hier, m’a dit que les clients s’attendent encore à goûter une bière blonde sans complexité. Ils disent qu’elle est trop forte ou qu’elle ne ressemble pas assez à la bière commerciale. Il ne manque pas, par contre, d’aficionados pour la IPA.

Le Mexique est le pays du Dos Equis et de la Corona. C’est aussi un gigantesque marché international de la bière. C’est le premier pays au monde en termes d’exportations de bière et le troisième plus grand producteur. On trouve une Corona pour moins d’un dollar canadien (environ 20 pesos mexicains) dans toutes les petites échoppes et au coin des rues. En revanche, la bière artisanale atteint 7 dollars (100 pesos). Avec tout cela, on trouve des cocktails à base de bière très populaires. Les michelados sont un mélange de corona, de citron et de clamato. C’est très rafraîchissant, mais c’est aussi une hérésie pour votre humble commentateur. Eduardo, lui, est plus modéré. El michelados si, pero con cerversa artesanal, nunca! Oui, les michelados, mais pas avec de la bière de micro! Pour les plus aventureux, essayez le michelado cubano. Je ne vous dis pas pourquoi.
D’autre part, l’engouement pour l’artisanat est très présent. Cela s’explique en partie par l’influence de la côte ouest américaine. Eduardo établit un lien direct entre ce que l’on boit au DF et ce qui est brassé en Californie. Beaucoup de brasseurs d’ici sont allés boire à la rivière ininterrompue de l’IPA avant de se mouiller chez eux et de se lancer dans le brassage. Lalo, représentant chez la puissante microbrasserie Hercules, abonde en ce sens. La brasserie artisanale a commencé à deux pas de San Diego en Basse Californie, me dit-il en riant. C’était facile de traverser la frontière et d’aller acheter le houblon directement en Californie. Depuis, la ville d’Ensanada, tout près de la frontière américaine, est devenu l’épicentre de la bière artisanale et le point de départ de la contagion mexicaine.
Le mythe de la Vienna lager et la révolution mexicaine
Il y a bien sûr une longue histoire de brasseurs américains, allemands et européens qui se sont installés ici au fil du temps, pour le meilleur et pour le pire.
Comme aux États-Unis, ce sont les Allemands qui ont introduit la Lager ici, les premières lagers commerciales ayant été brassées vers 1880, bien que beaucoup d’entre elles proviennent en fait des États-Unis.
Incroyablement, il existe un mythe selon lequel la Vienna Lager (La petite soeur de la Pilsner) était extrêmement populaire à la fin du 19ème siècle, lorsque l’Empereur Maximilien, un Habsbourg destiné à devenir le roi du Mexique, a emmené avec lui des brasseurs autrichiens et allemands pour boire sa bière préférée. Pourtant, la réalité est probablement bien moins sensationnelle. Maximilien a bien ordonné la construction d’une brasserie à Veracrus pour lui brasser sa Vienna Lager natale, mais il n’existe pas de registre confirmant la production ou la vente de cette bière à une échelle significative, d’autant plus que le manque de réfrigération aurait dramatiquement compliqué la production de lager au Mexique. Cette production contredit la fondation des premières brasseries de Lager, qui datent de 1880. D’autre part, il aurait aussi été improbable que l’empereur impopulaire ait réussi, dans les trois années de son mandat tragique, de populariser une marque aussi visiblement attachée à l’occupation étrangère. Cette histoire sensationnaliste a vraisemblablement été créée de toutes pièces pour séduire les voyageurs comme moi. Étrangement, c’est aujourd’hui au Mexique que la Vienna Lager est la mieux connue.
Maximilien d’Autriche, Empereur du Mexique, pantin de Napoléon III
Pourquoi un foutu monarque européen se retrouve-t-il soudainement roi du Mexique en 1864? L’idée vient de groupies conservateurs mexicains et d’un consortium de puissances européennes qui n’aime pas le concept de perdre leur influence globale. Cette drôle d’idée a été rendue possible par Napoléon III, le neveu de Napoléon Bonaparte pour imposer sa splendeur à l’Amérique Latine.
Contrairement à son oncle, il comprend que mettre sa propre famille sur les trônes partout risque de contrarier la planète. Il pioche donc dans l’une des dynasties les plus sûres d’Europe : les Habsbourg. En l’occurrence, le frère cadet de l’empereur François-Joseph. Si l’aîné est l’apothéose du conservatisme autocratique orthodoxe, Maximilien est farouchement libéral.
Naturellement, il est démis de ses fonctions de vice-roi de Vénétie-Lombardie en raison de sa politique trop tolérante. Aussi, lorsque Napoléon III décide de redorer le blason de la France en lui offrant un beau poste de souverain mexicain, il accepte avec joie. Tout le monde est content !
Enfin, tout le monde sauf les Mexicains. Maximilien sera fusillé trois ans seulement après son arrivée au Mexique. Pourquoi ?
Il faut dire qu’en 1861, la France, le Royaume-Uni et l’Espagne ont envahi le Mexique pour y instaurer un régime favorable à leurs intérêts conjugués. Et aussi parce que le Mexique avait arrêté de payer ses “dettes”.
Si le projet semble ambitieux et contradictoire, vous avez raison. Dans les petits caractères, on trouve aussi la volonté de contrebalancer le protestantisme américain, ce qui signifie poliment freiner l’élan militaire du voisin d’en haut qui vient tout juste de gober 55% du territoire mexicain. Les Britanniques et les Espagnols se désintéressent rapidement de la question, mais la France poursuit son occupation et envoie son émissaire avec un régiment de soldats. C’est une occupation.
Je vais cafarder un peu et résumer grossièrement, mais le Mexique est en pleine crise depuis déjà au moins cinquante ans. D’abord il y a eu la révolution, puis les luttes intestinales de pouvoir sur un arrière fond de manigances européennes et américaines. entre des éléments libéraux anti-monarchiques, des mouvements insurrectionnels indigènes, un mouvement anti-européen, le désir d’autodétermination, et un tas de guerres qui émiettent le territoire et endettent la nation. Face à tout cela, Maximilien n’est pas seulement confus; il est complètement dépassé. Il ne parle pas la langue locale, saisit mal pourquoi tout le monde le hait et s’enfonce dans les contradictions de son rôle. Pourtant il a de bonnes intentions, abolir l’esclavage et amorcer des réformes séculaires. Les conservateurs monarchistes sont ulcérés. Cest exactement le contraire de sa job ! Benito Juárez, chef officiel de l’opposition et grand héro national, refuse aussi de rejoindre son gouvernement. Maximilien est isolé.
Avant qu’il quitte l’Europe, Napoléon III lui avait assuré qu’il aurait le soutien des Britanniques, de l’argent et tout l’amour des Mexicains. Évidemment, rien de tout cela ne s’est manifesté. Incompétent, détesté et incapable, Maximilien est devenu l’ennemi à abattre. Finies les ambitions de grandeur de Napoléon III.
Parlons du pulque
Le rapport avec Maximilien? Contrairement à la Vienna Lager Mexicaine, le pulque existe pour de vrai. Et c’est une histoire hallucinante.
La première référence au pulque provient d’un médecin espagnol qui l’appelle le vin des Mexicains. Pulque est une déformation du mot nahuatl signifiant “décomposé”, du mot poliuhqui. Il provient probablement d’un texte où il est question d’un pulque qui aurait sûri.
La boisson est fabriquée à partir de la sève du cactus maguey, ce qui donne une boisson laiteuse, riche en nutriments et contenant jusqu’à 8 % d’alcool. Comme la boisson a des effets légèrement euphorisants, les Européens en concluent immédiatement qu’il s’agit d’une boisson satanique et l’interdisent. Prohibition façon coloniale.
Grande surprise, ça ne fonctionnera pas. En fait ce sera plutôt l’effet contraire.
Les Aztèques avaient interdit la consommation de pulque à la grande majorité de la population en raison du caractère sacré de cette boisson. Seules les personnes âgées de plus de 52 ans (vous lirez également 70 ans dans certains textes) avaient le droit d’en consommer, et encore, elles devaient le faire en secret dans leur maison. Sinon, une sorte de fête cosmique annuelle donnait exceptionnellement la permission à tout le monde d’ingurgiter de copieuses gorgées du nectar sacré de l’agave.
L’ivresse était considérée comme l’incarnation temporelle de Mayahuel, déesse de la terre et de l’ivresse. Il était donc interdit de se moquer ou d’insulter quiconque chancelait sous l’effet puissant de la boisson sous peine d’être sévèrement puni. Et si un jeune décidait de servir la potion magique en dehors de la fête, la peine pouvait aller jusqu’à la mort. Disons que c’est un peu plus sévère que de se voir confisquer son permis de conduire.
Les Aztèques ne lésinaient pas sur la discipline. Régime militariste rigoureusement organisé, les Aztèques étaient obsédés par l’ordre physique et cosmique, ainsi que par les sacrifices humains. Et devinez ce qu’ils donnaient à boire aux futurs sacrifiés ? Le pulque.
Mais comme l’empire aztèque n’existe plus, tous les contrôles sur le pulque tombent avec lui, et des pulquerias apparaissent graduellement dans tout le pays. Une production semi-industrielle commence dans les plantations et perds sa vigueur religieuse. Lorsque la révolution éclate à nouveau au début du XXe siècle, le pulque devient le sponsor officiel des révolutionnaires. La boisson, riche en nutriments, est abondamment consommée par les rebelles. Cependant, à la fin de la révolution, les pulquerias de la capitale sont passées de 3000 à moins de trente. Le nouveau gouvernement en place déteste cette boisson qui fait fermenter les troubles et brasse l’insurrection. Parallèlement, le marché de la bière allemande se développe et commence à dominer la lutte pour la soif dans le pays.
Toutefois, au cours des cinq dernières années, le pulque a connu une formidable résurgence, non seulement au Mexique, mais aussi sur la côte ouest des États-Unis. Un délicieux podcast, Agave Road Trip, lui est même consacré. Tout comme nous voulons revenir au terroir au Québec, au local en Californie et aux styles traditionnels partout, nous redécouvrons les effets médicinaux (et l’histoire) du pulque. Doté de propriétés probiotiques, le pulque serait une bonne source de fer, favoriserait le sommeil et lutterait contre le stress. La boisson fait actuellement l’objet de plusieurs études au Mexique, corroborant ses vertus prometteuses pour l’amateur de bière qui veut plus qu’une bière commerciale. Un petit bémol, la boisson est loin de faire l’unanimité est n’est pas plus populaire au Mexique que la bière artisanale, loin de la. Mes amis Mexicains m’assurent que les pulquerias sont des endroits pour les touristes.
Il exsite de nombreux stigmates sur la boisson pour les locaux. Pourquoi, d’abord parce que le pulque est associée au passé révolutionnaire et à la pauvreté. Mais aussi à cause du travail de démonisation des grandes brasseries américaines qui convoitaient la marché mexicain au début du vingtième siècle. Les grandes brasseries ont inventé un paquet de légendes sur insularité du pulque, en disant notamment que les anciens mettaient des excréments dans le moût d’agave pour aider la fermentation. Mais réellement qui ferait une chose pareille?
Dernier mot
Mon ultime conseil de voyage brassicole au DF : ne demandez pas un pulque dans une cerverceria, un michelado dans une cervecero, ou une corona dans un brewpub.
Et s’il vous plaît, ne comptez pas sur Napoléon 3 pour vous recommander une Vienna Lager.
Pierre-Olivier Bussières