Encore aujourd’hui, lorsqu’on déambule à Prague, Brno, Olomouc ou n’importe quelle ville tchèque, il est relativement facile de se trouver une pinte de Tmavy. Celle de U Fleku, par exemple, est servie à leur brouepub de Prague depuis 1535!
La technologie des équipements et la science brassicole ont certes évolué depuis, mais on prétend tout de même recréer la même bière – à quelques détails près – depuis tous ces siècles. Une bière très foncée dont le profil de saveurs est axé sur des notes de malts d’orge torréfiés. Un peu comme la rencontre d’un pain grillé et d’un café, avec la texture aérienne d’une lager de soif.
Tmavé ou Černé? Výčepní ou Ležák?
Bien que la terminologie puisse prêter à confusion, une microbrasserie tchèque offre habituellement une seule lager noire à la fois. La noire au menu peut être une Tmavé Výčepní (dans les 3,5 % d’alcool), une Tmavé Ležák (entre 4 et 5 %) ou, pour célébrer une occasion spéciale, une Tmavy Speciální (dans les 6 % d’alcool et plus).
Dans tous les cas, le but est d’équilibrer des saveurs de malts rôtis et de houblons bohémiens, sur un fond de levures à lager à la signature délicatement rustique. Le terme Černé ( signifiant « noire » ) garnit quelques ardoises aussi, mais ne fait pas référence à un style véritablement différent. On s’attend donc aux mêmes goûts, ingrédients, techniques de brassage ainsi qu’à la même teinte ébène que la bière soit présentée comme étant une Tmavé ou une Černé.
Dunkel et Schwarzbier
En Allemagne, l’automne, c’est le temps de la Dunkel. Un peu comme Tmavé en Tchéquie, le terme Dunkel se traduit simplement par ‘foncé’ et constitue une offre classique chez un brasseur de lager. Schwarzbier, comme Černé en Tchéquie, signifie ‘bière noire’.
C’est une terminologie qui existe toujours mais qui est en perte de vitesse depuis quelques décennies. Certains diront que c’est une version plus sèche et plus houblonnée de la Dunkel, mais sur le terrain la réalité est beaucoup plus floue. La Dunkel germanique est bien sûr conçue avec des ingrédients allemands, et le profil de saveurs classique est subtilement différent de celui des voisins tchèques.
Les allusions au pain grillé y sont toujours, mais la torréfaction semble être moins « brûlée » et plus caramélisée. Les notes fermentaires y sont à peu près absentes également, contrairement aux Tmavés qui tendent à aller chercher une rusticité supplémentaire grâce à leurs levains souvent caractériels.
La lager foncée allemande se concentre presque uniquement sur les saveurs de malts et de houblon. Contrairement à un Stout ou un Porter donc – qui sont des fermentations hautes – ces lagers allemandes ne partagent à peu près aucune note fruitée provenant de la fermentation. Si on y perçoit des allusions à des fruits dans une Dunkel, ce seront des notes de raisins secs gracieuseté de certains malts de spécialité ou même d’un ajout de Sinamar, un concentré de malts foncés concocté pour les brasseurs par la légendaire malterie Weyermann à Bamberg.
Important : ne pas confondre une Dunkel avec une Dunkles Weissbier ou une Dunkelweizen. Ces dernières ne sont pas des lagers du tout. Ce sont simplement des bières de blé (Weissbier) foncées (Dunkles). Donc ce sont des bières de fermentation haute fermentées avec de la Torulaspora delbruckii, la levure classique aux blanches allemandes.
Même chose pour la Dunkler Weizenbock, qui est une version forte de la Dunkles Weissbier. La terminologie classique donc pour une véritable lager foncée en Allemagne serait ‘Dunkel’ tout court, ou à l’occasion Dunkles Lagerbier (évidemment), Dunkles Vollbier et Dunkles Landbier (on croise les deux dernières seulement dans la région de Franken, autrement appelée Franconie).
Tamsus, Tumšais et Porter Baltique
Beaucoup moins connues du reste de la planète, les lagers foncées des pays baltes tendent à imiter le profil de saveurs d’un pain de seigle noir et ses notes caramélisées épicées. La Porter Baltique a certes traversé l’océan grâce à certaines marques polonaises comme Okocim, mais ses cousines des autres contrées baltes demeurent relativement inconnues ailleurs.
La Tamsus lituanienne (comme l’excellente Varniuku, de la brasserie Davra) ainsi que la Tumsais lettone (celle de Brengulu peut être spectaculaire) font directement référence aux pains de seigle importants dans les cultures culinaires de ces peuples.
À noter que la majorité des Porters baltiques brassées en Amérique du Nord imitent plutôt le Stout impérial avec leurs sucres résiduels massifs et leur taux d’alcool avoisinant les 10%. Les Porters baltiques classiques originaires de Pologne et d’Estonie, comme ceux de Żywiec et Saku par exemple, sont moins forts en alcool (6-8 %) et moins lourds en bouche, tout en demeurant un dessert malté, bien sûr.
Où trouver d’excellentes lagers noires au Québec?
Brasserie Silo (disponible à la brasserie, dans le nord de Montréal, et dans certaines boutiques spécialisées en province)
Sans contredit, parmi les meilleurs spécialistes en lagers au pays, avec de nombreuses variations foncées traditionnelles à leur actif.
Que ce soit leur Legendre (une Dunkel), leur Des Carrières (une Schwarzbier), leur Prieur (une Tmavé Lezak) ou leur Mazurette (une Tmavé Výčepní), chacune de leurs lagers brunes ou noires développe des notes de torréfaction assumées, rappelant souvent le café, le pain toasté et le chocolat noir dans des textures douillettes à souhait; jamais trop lourdes, jamais trop mince. Toujours axées sur la soif et l’authenticité!




Ayawan (disponible à la brasserie, à Val-Morin, dans les Laurentides, et dans certaines boutiques spécialisées)
De temps à autre, la bucolique microbrasserie laurentienne propose une Dunkel dans les règles de l’art. Nommée « La Pression de l’Impression », cette confortable lager développe de superbes subtilités maltées (noisette/châtaigne rôtie) parfaites pour accompagner le paysage naturel changeant autour de la brasserie.

L’Amère à Boire (disponible à la brasserie, dans le Quartier Latin de Montréal, puis en cannette dans certaines boutiques spécialisées)
La brasserie pionnière de tous les spécialistes de lagers au Québec offre bien sûr de nombreux lagers d’inspiration diverses.
Par temps froid, la Cosaque, un Porter baltique, fait son apparition à l’ardoise, au grand plaisir des amateurs de riches saveurs chocolatées et rôties. Pour une dégustation plus légère, l’Éléphant Tmavé propose une incursion dans le monde des Tmavé Výčepní.



Martin Thibault, expert en biérologie et chroniqueur et conférencier se spécialise dans la bière traditionelle. Martin écrit également sur son blogue Les Coureurs des Boires et parcourt le monde à la recherche des traditions brassicoles ancestrales.



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