Le retour des levures sauvages dans la bière : l’exemple des Brettanomyces

La fermentation spontanée est la dernière tendance brûlante dans le monde de la bière artisanale. Mais qu’est-ce que cela signifie exactement et pourquoi est-ce si important pour l’industrie brassicole ?

La fermentation spontanée est une méthode de brassage qui utilise des levures sauvages naturellement présentes dans l’air et sur les matières premières pour fermenter le moût. Contrairement à la plupart des méthodes de brassage modernes, qui utilisent des souches de levure sélectionnées pour obtenir une certaine saveur, la fermentation spontanée permet à la nature de prendre le contrôle.

Cette méthode de brassage remonte à des siècles et constitue, en fait, le point de départ de la bière. Mais même à l’époque moderne, les brasseurs utilisaient des cuves ouvertes pour fermenter leur bière, exposant le moût à l’air ambiant et aux micro-organismes qui s’y trouvaient, une pratique qui s’est résolument maintenue en Belgique.

Au fil des ans, les brasseurs ont commencé à contrôler la fermentation en utilisant des levures sélectionnées, ce qui a permis d’obtenir une consistance de goût et de qualité constante. Technologie et mesure ont aussi signifié contrôle des ingrédients, de la qualité et de la levure. Seulement au 19ème siècle est-il devenu possible, voire impératif, d’isoler des levures optimales. Sans le soin méticuleux des grandes levures de lager, la révolution brassicole ayant mis au monde les lagers n’aurait pas été possible.

Cependant, de nombreux brasseurs ont continué à utiliser la méthode de fermentation spontanée, et aujourd’hui, elle est considérée comme l’une des méthodes de brassage les plus traditionnelles et les plus authentiques.

Alors, pourquoi la fermentation spontanée connaît-elle une telle popularité aujourd’hui ? Eh bien, cela peut être attribué en partie à la tendance croissante en faveur des produits artisanaux et locaux. De plus en plus de consommateurs recherchent des produits uniques et authentiques, et la fermentation spontanée offre cela.

Les levures sauvages ont toujours été un élément important de la culture brassicole belge, mais elles connaissent actuellement un regain d’intérêt. De plus en plus de brasseries belges, grandes et petites, expérimentent avec des levures sauvages pour créer des bières uniques et complexes.

Une tendance récente est la création de bières hybrides, qui combinent des levures sauvages avec des levures domestiquées pour produire des saveurs complexes et équilibrées. Les bières acides sont également très populaires en ce moment, avec des brasseries comme Cantillon et Drie Fonteinen produisant des bières Lambic et Gueuze acides et complexes.

Pourquoi?

Que ce soit l’essouflement des IPAs ou le goût du retour aux sources, l’appel de levure “sauvage” s’explique aussi par son utilité économique. Durant les dernières années, les brasseurs ont redécouvert une nouvelle façon de donner du goût à leurs bières de fermentation haute : en récupérant des Brettanomyces. Les “Brett” dans le jargon de la brasse, sont une levure sauvage non-spécialisée qui se développe naturellement dans les fûts de vieillissement de la bière. La Brett est caractérisée par sa capacité à fermenter les sucres résiduels et les composés aromatiques complexes de la bière, produisant ainsi des saveurs et des arômes distinctifs de fruits tropicaux, de cuir et de phénols. Les Brettanomyces sont également connues pour leur capacité à produire de l’acide acétique et lactique, ce qui peut contribuer à l’acidité de la bière. Les brasseurs doivent être prudents lorsqu’ils travaillent avec cette levure, car elle peut être très résistante aux désinfectants traditionnels et peut contaminer facilement les équipements de brassage.

Ces levures sauvages sont très populaires aujourd’hui car elles permettent d’apporter une acidité à la bière sans avoir besoin d’utiliser des bactéries ou de la faire vieillir longtemps comme pour les Lambics. De plus, les Brett peuvent donner un goût “funky” à la bière avec des saveurs de cuir ou d’écurie, ce qui permet aux brasseurs de jouer avec ces saveurs pour créer des bières uniques et complexes. C’est pourquoi de plus en plus de brasseurs utilisent ces levures pour créer des bières de qualité supérieure.

Un rôle majeur en Belgique

Sur le plan économique, les levures sauvages ont un impact significatif sur l’industrie brassicole belge. Selon une étude menée en 2018, le marché des bières acides belges a connu une croissance annuelle moyenne de 11,5% au cours des cinq dernières années. Les brasseries belges qui utilisent des levures sauvages ont également vu leurs exportations augmenter, avec une augmentation de 8% des exportations de bières belges vers les États-Unis en 2019.

En conclusion, la tendance des levures sauvages est un sujet brûlant dans l’industrie brassicole belge, avec des brasseries qui expérimentent avec des méthodes de fermentation spontanée pour créer des bières uniques et complexes. Sur le plan économique, les levures sauvages ont un impact important sur l’industrie brassicole belge, stimulant la croissance du marché des bières acides et augmentant les exportations de bières belges à l’étranger.

Quelques références pour les amateurs

  1. Brasserie Cantillon – Lambic Bio: Cette brasserie bruxelloise est l’une des plus célèbres brasseries belges spécialisées dans la fermentation spontanée. La Lambic Bio est une bière acide et fruitée, brassée avec du froment cru et de l’orge maltée.
  2. Brasserie Drie Fonteinen – Oude Geuze: Cette brasserie de la région de Bruxelles produit de la bière à base de lambic depuis 1887. L’Oude Geuze est un mélange de lambic jeune et vieux, avec des notes de fruits verts et une finition aigre.
  3. Brasserie Boon – Oude Kriek: Située dans la ville de Lembeek, cette brasserie produit de la bière à base de lambic depuis 1978. L’Oude Kriek est une bière aigre et fruitée, brassée avec des cerises fraîches.
  4. Brasserie Tilquin – Gueuze Tilquin: Cette brasserie de la province du Brabant wallon produit des bières à base de lambic depuis 2009. La Gueuze Tilquin est une bière aigre et pétillante, brassée avec des lambics jeunes et vieux.
  5. Brasserie Lindemans – Cuvée René: Située à Vlezenbeek, cette brasserie produit de la bière à base de lambic depuis 1822. La Cuvée René est une bière aigre et fruitée, brassée avec des lambics vieux et jeunes, et vieillie pendant trois ans en fûts de chêne.

Sources

  1. De Roos, T. (2019). Wild beer and spontaneous fermentation: An investigation into the use of Brettanomyces yeast and spontaneous fermentation in the production of beer. Journal of Brewing and Distilling, 10(2), 7-12.
  2. Verachtert, H., Iserentant, D., & Derdelinckx, G. (2017). The resurgence of spontaneous fermentation and its role in modern brewing. Applied Microbiology and Biotechnology, 101(8), 3077-3085.
  3. Van Oevelen, D., Boeckx, P., Van Goolen, J., & Verachtert, H. (2018). Brewing with wild yeasts: a primer on spontaneous fermentations. Trends in Food Science & Technology, 79, 54-63.
  4. Delvaux, F., & Delvaux, F. R. (2020). The revival of spontaneous fermentation: the Belgian case. Journal of the Institute of Brewing, 126(1), 1-7.
  5. De Schutter, D. P., Van de Walle, D., & Gellynck, X. (2018). From sour to Belgian craft beers: A shift in Belgian beer consumption. British Food Journal, 120(12), 2901-2912.

Leave a Reply