Elle absorbe les pluies intenses, tempère les sécheresse, nourrit les oiseaux et mange des lacs, et ce, en plus de fournir un formidable fertilisant naturel. La tourbière est un écosystème fascinant, méconnu et fragile. Véritable cimetière vivant, la tourbière est aussi un laboratoire naturel pour observer l’histoire de notre environnent, de la dernière glaciation jusqu’à la dernière déforestation. Qu’est-ce qu’une tourbière? D’où viennent-elles? Quel rôle jouent-elles dans leur environnement et quel sera leur rôle dans la lutte climatique?
Qu’est-ce qu’une tourbière?
La tourbe est un mélange constitué d’au moins 30% de matière organique et de 17% de carbone. Une tourbière est donc une zone d’accumulation de tourbe d’au minimum 30 cm d’épaisseur. Ce qui donne un écosystème unique et complexe.
Une tourbière est un écosystème unique et fragile qui se forme dans les zones humides où l’eau stagnante ou peu profonde crée des conditions anaérobies (environnement pauvre en oxygène). Cet écosystème se développe au fil du temps grâce à un processus de décomposition lente et incomplète de la matière organique, principalement constituée de plantes aquatiques, de mousses et de végétaux morts.

La tourbière est aussi le royaume du Sphaigne, un type de mousse de la famille des Sphagnaceae. Repartie en plus de 3000 espèces, le sphaigne est une plante minuscule qui aime les milieux humides. Elle peut ainsi accumuler plus de 25 fois son poids en eau, ce qui permet de créer un bassin d’eau stagnante et acide. De cette absorption résulte une forte humidité qui tue la concurrence en créant un milieu acide dépourvu d’oxygène. La majorité des plantes sont incapables d’y survivre. Les espèces mal acclimatées y poussent lentement et durement.
Explication: pour extraire les nutriments du sol, les racines ont en effet besoin d’air, ce que la tourbière interdit. Dans ces conditions, la sphaigne atteint des taux de croissance quasiment uniques dans un milieu naturel. Sans grande compétition, la plante vie et renaît sur elle-même en tissant ainsi de vastes colonnes mousseuses reliées entre elles par un mince réseau racinaire. Ce sont les dépouilles de sphaigne qui constituent ainsi la tourbière. Dans la tourbière, il n’y a pas de terre. Nulle part pour arrêter le pied. Des mètres et des mètres de tissus spongieux.
Lorsqu’elle est en santé, la sphaigne peut générer de la tourbe à un rythme de 7 à 8 mm par an. Cette capacité foudroyante à dominer son environnement est à la fois une opportunité et un grave danger. Laissée à elle-même, la sphaigne couvrira tous les sols des forêts avoisinantes jusqu’à la fin des temps.
Ces bassins retiennent de grandes quantités d’eau, agissant comme des zones tampons qui réduisent les risques d’inondation et de sécheresse estivale. De plus, leur évaporation et évapotranspiration contribuent au rafraîchissement de l’air, en particulier pendant les périodes de canicule. Les tourbières de sphaigne abritent une diversité d’espèces végétales caractéristiques des zones tourbeuses, et leur matière organique résiste à la décomposition grâce à leur acidité et aux composés phénoliques, ce qui a historiquement fourni un combustible et un isolant précieux pour les populations avant l’ère des carburants fossiles.
En même temps, l’environnement créé par la sphaigne est très pauvre en azote, un engrais important pour les plantes. Ainsi, il n’est pas rare de voir des espèces carnivores en pleine tourbière qui dirigent leurs efforts vers les insectes plutôt que dans la terre.

Comment les tourbières se forment-elles?
Les tourbières peuvent se créer de deux façons différentes: soit par le retrait des glaciers, soit à partir d’un lac à l’eau stagnante. La première méthode (paludification) est due au réchauffement du climat lie à la fin de la dernière ère glacière. Des pièges à humidité laisser par des lacs sans route d’évacuation aurait créé des conditions fertiles pour la sphaigne.
La deuxième méthode, plus courante, est la terrestrialisation. Ce phénomène survient dans un lac peu profond ou la végétation pousse vigoureusement mais où l’eau est stagnante. Les plantes et les spaighes inondent peu à peu la berge jusqu’à engloutir complètement le lac.
La tourbe au service de l’archéologie
Les tourbières, en plus d’être des écosystèmes fascinants, sont également des archives précieuses pour les chercheurs en archéologie et en écologie. L’une des utilisations intéressantes de la tourbe dans le domaine de l’archéologie est l’analyse des rhizopodes, de minuscules organismes microscopiques. Certains rhizopodes ont des préférences bien définies en termes d’acidité de l’eau, ce qui les rend sensibles aux changements dans l’écosystème de la tourbière.
En étudiant la distribution passée de ces organismes dans une tourbière donnée, les chercheurs peuvent déduire l’acidité de l’eau à différentes époques du passé. Cette information permet de reconstituer l’histoire écologique de l’écosystème environnant, offrant ainsi un aperçu précieux des changements environnementaux et des conditions climatiques passées. L’analyse des rhizopodes dans les tourbières aide également les archéologues à mieux comprendre les anciennes populations humaines et leur interaction avec ces environnements.
Les tourbières dans le monde
On trouve les tourbières dans certaines zones équatoriales, mais aussi, principalement dans les latitudes moyennes ou hautes. Il existe ainsi une ceinture climatique propice aux tourbières liant le Canada, dans les Iles britanniques, la Fennoscandinavie, les pays baltes et la Russie, la Patagonie, le Chili et les Iles Kerguelen.
Le Canada occupe une place de premier plan en tant que producteur mondial de tourbe. Cette ressource naturelle est principalement extraite dans les provinces de la Colombie-Britannique, du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador. La tourbe canadienne est largement utilisée dans l’horticulture, en tant que substrat de culture pour les plantes en pots et les jardins. Cette industrie de la tourbe soutient les exportations canadiennes et génère des revenus substantiels pour le pays.
En plus de son utilisation commerciale, les tourbières canadiennes sont également des écosystèmes précieux qui contribuent à la biodiversité locale et à la régulation des cycles de l’eau. Cependant, l’exploitation de la tourbe soulève des questions environnementales liées à la dégradation de ces écosystèmes uniques. Les chercheurs et les responsables de l’environnement travaillent pour trouver un équilibre entre l’utilisation économique de la tourbe et la préservation de ces écosystèmes fragiles.
Les principaux pays producteurs de tourbe en Europe sont la Russie, la Finlande, l’Irlande et la Suède. La Russie exploite ses vastes étendues de tourbières principalement dans le nord du pays pour des usages variés, de l’agriculture à l’industrie énergétique. En Europe, l’Irlande héberge encore la moitié des cultivars de tourbières européennes.
Aujourd’hui, l’exploitation des tourbières est sous les feux de la critique. Plusieurs groupes militent pour mettre fin à l’extraction de la tourbe pour préserver des écosytèmes fragiles et importants, et pour réduire l’empreinte carbone de l’homme. C’est que les tourbières sont aussi de formidables puis à dioxyde de carbone : l’extraction, puis l’utilisation de tourbière comme carburant remet sur le marché naturel un carbone piégé depuis des décennies, voire des centaines d’années. Au total, les tourbières piégeraient ainsi plus de 5% des émissions de CO₂ dans l’air.
La Tourbe dans l’histoire : un carburant important
La tourbe a été utilisée comme source de carburant à travers l’histoire dans différentes régions du monde, en particulier dans les zones où d’autres sources d’énergie étaient limitées ou indisponibles.
Au Moyen Âge, une entreprise singulière et audacieuse a pris racine le long de la côte des Flandres et dans le nord-est d’Anvers. Nous plongeons dans l’épopée de la récolte de la précieuse tourbe, une ressource qui a alimenté de nombreux foyers à travers l’Europe. Alors, comment tout cela a-t-il commencé ?
Au cours des tumultueuses années 1100 et 1200, nos ancêtres se sont aventurés dans cette quête. Chaque année, une estimation remarquable de 220 à 440 hectares de tourbières ont été soigneusement mis en exploitation dans les provinces de Hollande et d’Utrecht.

Pourtant, il y avait une petite complication à cette aventure florissante. Les tourbières étaient profondes, atteignant parfois une épaisseur impressionnante de 4,5 mètres. Cependant, il y avait un hic : la région était notoirement connue pour son niveau d’eau élevé, d’où le nom évocateur de “Pays-Bas”. Cela signifiait que seule la couche supérieure des tourbières pouvait être extraite avec les techniques de l’époque. Pénétrer plus profondément aurait simplement inondé le sol, rendant le précieux combustible hors d’atteinte.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. La tourbe, débordant d’eau, devait être étalée sur des bandes de terre étroites et inutilisées. Chaque année, près de 115 à 230 hectares de terres étaient irrémédiablement perdus en raison de cette production de tourbe sous le niveau de l’eau.
Et comme un clin d’œil de la nature, les tourbières épuisées ont donné naissance à d’immenses lacs qui se sont étendus pour recouvrir d’immenses étendues de terrain entre les provinces de Hollande et d’Utrecht. C’est comme si la nature elle-même avait laissé son empreinte dans cette fascinante chronique de la récolte de la tourbe aux Pays-Bas.
En Irlande et en Écosse, la tourbe a été historiquement utilisée comme source de combustible pour sécher l’orge utilisée dans la fabrication du whisky, notamment le whisky écossais et irlandais. Ce processus de séchage de l’orge au-dessus de feux de tourbe a eu un impact sur le profil aromatique du whisky, donnant à certains whiskies un goût fumé et tourbé distinctif.
La tourbe était également utilisée dans certaines cultures locales pour la distillation artisanale d’alcools, comme la vodka en Russie et d’autres pays nordiques.
La tourbière et le scotch
Le lien entre la tourbe et l’alcool, en particulier le whisky, trouve ses racines dans la nécessité. Initialement utilisée comme source de carburant pour sécher l’orge essentielle à la production de whisky, la tourbe a comblé le vide dans les régions telles qu’Islay, où d’autres sources d’énergie étaient rares. Ce mariage fortuit a donné naissance à une caractéristique distinctive : le profil fumé du whisky, influencé par les composés appelés « phénols ».

Les distilleries d’Islay auraient été les premières à lancer le bal, probablement du fait de leur éloignement et de l’abondance de tourbe comme carburant. Ces distilleries produisent du whisky très tourbé, incluent les fameux Laphroaig, Lagavulin, Caol Ila, Ardbeg et Bowmore.
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