Le 3 mars est la journée internationale de la Tripel. À notre avis, ce joyau doré de la tradition brassicole belge mérite amplement sa journée de célébration internationale. Née dans les temples de la bière que sont les abbayes trappistes, ces bières représentent un sommet d’équilibre entre puissance et finesse. Portrait d’une des bières les plus vénérables de l’histoire.
Aux origines de la Tripel
La tripel (ou tripel) trouve ses racines dans la tradition monastique belge. On croit généralement que le nom dérive de la triple quantité de malt utilisée par rapport aux bières « simples » brassées dans les abbayes. Selon une autre théorie, l’appellation tripple viendrait des trois XXX inscrits sur les casques pour indiquer leur haute teneur en alcool. Cela expliquerait aussi pourquoi la journée internationale de la Tripel a lieu le 3 mars, date qui se chifre aussi 3/3.
L’abbaye de Westmalle est généralement créditée pour avoir popularisé ce style dans les années 1930, bien que des bières similaires existaient auparavant. On associe la première bière moderne digne de ce nom à Hendrik Verlinden dans la pure tradition des bières trappistes et sous le nom de Witkap Pater. La brasserie n’aurait pas changé la recette depuis.
Ce style se caractérise par sa robe dorée claire, sa carbonatation vive, ses arômes d’épices et de fruits, et surtout par un équilibre remarquable malgré une teneur en alcool généralement comprise entre 7,5% et 9,5%. La tripel est le fruit d’un savoir-faire ancestral, où des levures spécifiques apportent ces notes caractéristiques de banane, de clou de girofle et parfois d’agrumes.
La Journée Internationale de la Tripel : une fête mondiale
Célébrée chaque année par les amateurs et professionnels du monde brassicole, la Journée Internationale de la Tripel met en lumière ce style qui transcende les frontières. Des tavernes de Bruges aux microbrasseries de Montréal, cette journée est l’occasion de dégustations, d’accords mets-bières et d’événements éducatifs.
Ce qui rend cette célébration si spéciale, c’est la capacité de la tripel à séduire aussi bien les novices que les connaisseurs. Sa complexité en fait un sujet inépuisable de discussion pour les passionnés, tandis que son accessibilité relative permet aux néophytes d’entrer dans l’univers des bières d’abbaye.
Top Cinq des meilleurs tripels

1. Westmalle Tripel (Belgique, 9,5%)
La Westmalle Tripel est considérée comme l’archétype même du style. Brassée depuis 1934 par les moines trappistes de l’abbaye de Westmalle, elle est véritablement la pierre angulaire contre laquelle toutes les autres trippels sont mesurées. Sa robe dorée cristalline coiffée d’une mousse dense et crémeuse annonce une expérience sensorielle exceptionnelle.
Au nez, elle déploie un bouquet complexe où se mêlent agrumes (orange, pamplemousse), fruits blancs, épices (poivre blanc, coriandre) et notes florales délicates. En bouche, l’attaque révèle une douceur maltée rapidement équilibrée par une amertume houblonnée précise. Le corps, à la fois léger et substantiel, porte des saveurs de miel, de fruits du verger et d’épices, tandis que la carbonatation fine et persistante apporte une texture soyeuse.
La finale, remarquablement sèche pour une bière de cette puissance, laisse une empreinte houblonnée subtile et invite à la prochaine gorgée. L’intégration parfaite des 9,5% d’alcool témoigne d’un savoir-faire monastique séculaire. La Westmalle Tripel est une leçon d’équilibre et de complexité, un chef-d’œuvre intemporel qui continue de fasciner après presque un siècle d’existence.

2. St. Bernardus Tripel (Belgique, 8%)
Souvent éclipsée par les trappistes officielles, la St. Bernardus Tripel est pourtant l’un des joyaux cachés du paysage brassicole belge. Cette bière d’abbaye, produite par la brasserie St. Bernardus à Watou, possède un lien historique avec l’abbaye Saint-Sixte (productrice de la mythique Westvleteren), dont elle a brassé les recettes sous licence jusqu’en 1992.
Sa robe jaune paille légèrement voilée est surmontée d’une mousse volumineuse et persistante. L’expérience olfactive est dominée par des arômes de fruits blancs mûrs (poire, pomme), de miel d’acacia, d’épices douces (vanille, muscade) et de levure distinctive. Une touche d’esters fruités évoquant la banane complète ce tableau aromatique séduisant.
En bouche, elle se distingue par une douceur initiale équilibrée par une sécheresse finale remarquable. Les saveurs de fruits à chair blanche, de miel et de céréales se fondent harmonieusement avec des notes épicées subtiles. Sa texture soyeuse et sa carbonatation délicate enveloppent le palais, tandis que l’alcool (8%) est parfaitement intégré, apportant chaleur sans agressivité.
Le secret de son excellence réside dans la refermentation en bouteille et l’utilisation de la célèbre souche de levure « St. Bernardus », qui lui confère un caractère distinctif reconnaissable entre tous.

3. Tripel Karmeliet (Belgique, 8,4%)
La Tripel Karmeliet représente un sommet de raffinement dans l’univers des trippels. Élaborée par la brasserie Bosteels selon une recette authentique datant de 1679 provenant de l’ancien couvent carmélite de Dendermonde, sa particularité réside dans l’utilisation de trois céréales : orge, blé et avoine. Cette composition unique lui confère une complexité et une texture inégalées.
Dans le verre, elle présente une robe dorée éclatante surmontée d’une mousse abondante, onctueuse et tenace. Son bouquet aromatique luxuriant dévoile des notes de vanille, de banane mûre, d’agrumes confits, de miel de fleurs et d’épices exotiques, le tout soutenu par une touche céréalière distinctive due au mélange des trois grains.
La dégustation révèle une bière d’une élégance exceptionnelle. L’attaque, douce et soyeuse, développe des saveurs de fruits jaunes, de vanille et de miel, tandis que le blé apporte de la légèreté et l’avoine une onctuosité caractéristique. L’effervescence crémeuse, presque mousseuse, transporte ces saveurs avec délicatesse. La finale, longue et rafraîchissante, offre un équilibre parfait entre douceur maltée et amertume subtile.
Multi-récompensée sur la scène internationale, la Tripel Karmeliet est l’illustration parfaite de la sophistication que peut atteindre une trippel quand tradition séculaire et maîtrise technique se rencontrent.

4. De Dolle Brouwers Dulle Teve (Belgique, 10%)
« La Folle Jument » de la brasserie De Dolle Brouwers est l’expression audacieuse et rebelle du style trippel. Créée par les frères Herteleer, cette brasserie artisanale de Esen produit des bières au caractère aussi affirmé que leur étiquette colorée à l’iconographie distinctive.
Avec sa robe ambrée profonde, inhabituelle pour une trippel traditionnellement blonde, la Dulle Teve annonce d’emblée sa singularité. Son impressionnante mousse beige, dense et crémeuse, couronne cette création hors normes. Au nez, elle déploie un bouquet intense où se mêlent caramel, fruits confits (abricot, prune), épices (cannelle, muscade), notes de levure rustique et touches de miel foncé.
L’expérience gustative est une véritable aventure sensorielle. Son corps substantiel et sa richesse maltée initiale évoluent vers une complexité remarquable où se succèdent notes de caramel, fruits exotiques, touches épicées et une profondeur phénolique distinctive. Malgré ses 10% d’alcool, la Dulle Teve parvient à maintenir un équilibre étonnant, l’alcool apportant une chaleur bienvenue sans jamais dominer le profil aromatique.
La refermentation en bouteille lui confère une carbonatation vive et une évolution favorable dans le temps, faisant de chaque millésime une expérience unique. Produite en quantités limitées, cette trippel iconoclaste est devenue un objet de quête pour les collectionneurs et amateurs exigeants du monde entier.

5. La Fin du Monde (Québec, 9%)
Véritable ambassadrice du savoir-faire brassicole québécois, La Fin du Monde d’Unibroue a prouvé qu’une trippel d’excellence pouvait naître loin des abbayes belges. Lancée en 1994 pour commémorer les explorateurs qui croyaient avoir atteint la fin du monde en découvrant l’Amérique, cette bière a remporté plus de 70 distinctions internationales.
Sa robe dorée voilée est surmontée d’une mousse blanche généreuse et persistante. Le profil aromatique, d’une richesse impressionnante, révèle des notes de fruits à noyau (pêche, abricot), d’agrumes confits, de poivre blanc, de clou de girofle et de levure distinctive, avec une touche de pain frais en arrière-plan.
En bouche, La Fin du Monde séduit par sa texture veloutée et sa carbonatation fine qui libère progressivement des saveurs de fruits exotiques, d’épices douces et de miel d’acacia. Sa fermentation sur levure et sa refermentation en bouteille lui confèrent une complexité évolutive, chaque gorgée révélant de nouvelles nuances. L’alcool (9%) est parfaitement intégré, apportant une chaleur subtile qui amplifie l’expérience gustative sans jamais la dominer.
La scène québécoise de la Tripel
Le Québec, avec sa riche histoire brassicole influencée par les traditions européennes, s’est imposé comme un terroir d’excellence pour les trippels. Au-delà de la célèbre « La Fin du Monde » d’Unibroue, un véritable écosystème de trippels québécoises s’épanouit, chacune apportant sa signature unique au style belge classique.

Tante Tricotante
La Micro du Lac nous offre sa « Tante Tricotante », une bière artisanale qui marie habilement des notes maltées caramélisées et une finale épicée subtile. Sa robe ambrée aux reflets cuivrés, couronnée d’une mousse crémeuse, révèle un bouquet évoquant les fruits d’automne. Une création réconfortante et sophistiquée qui incarne parfaitement l’esprit brassicole québécois.

Dominus Vobiscum Triple
La MicroBrasserie Charlevoix s’illustre avec sa « Dominus Vobiscum Triple« , une interprétation fidèle au style belge mais dotée d’une empreinte québécoise distinctive. Ses arômes d’agrumes et d’épices, combinés à une rondeur maltée parfaitement maîtrisée, en font une référence provinciale.

La Trip des Schoune
La Ferme Brasserie Schoune, avec « La Trip des Schoune« , propose une approche terroir où les ingrédients locaux viennent enrichir le profil classique de la trippel. Cette fusion entre tradition belge et racines québécoises crée une expérience gustative unique.

La Fabe
« La Faber » de La Souche Microbrasserie révèle quant à elle une élégance toute particulière, jouant sur des notes fruitées délicates et une amertume subtilement calibrée qui témoigne d’un savoir-faire brassicole affiné. Il s’agit d’une valeur sûre : la bière a gagné la prestigieuse compétition du Canadian Brewing Awards 2022.
D’autres créations exceptionnelles méritent l’attention des amateurs : « La Pistoloise Triple » du Caveau Trois-Pistoles, avec son caractère affirmé et sa complexité aromatique; « Perdu dans Malle » d’Avant-Garde Brasseurs, hommage créatif aux classiques belges; « Le Collier de Vénus » (particulièrement remarquable dans sa version vieillie 4 ans) et « Benedictus » de Bedondaine et Bedons Ronds, qui démontrent le potentiel de vieillissement des grandes trippels; ou encore « Folie Passagère » des Fous Brassant, qui pousse les limites du style avec audace.
Comment célébrer dignement cette journée
Pour marquer cette occasion, voici quelques suggestions pour célébrer la Journée Internationale de la Tripel comme il se doit :
- Organisez une dégustation comparative entre trippels belges classiques (Westmalle Tripel, Chimay Blanche, La Trappe Tripel) et interprétations québécoises
- Explorez les accords gastronomiques : la trippel se marie merveilleusement avec les fromages à pâte dure, les fruits de mer, et même certains desserts
- Visitez votre brasserie locale pour découvrir leur interprétation du style ou participez à un événement thématique
- Initiez-vous au brassage amateur en tentant de créer votre propre trippel

Pierre-Olivier Bussières : chroniqueur pigiste et analyste de risque, Pierre s’intéresse aux marchés de l’alcool et aux technologies disruptives. Il a notamment écrit pour Global Risk Insights, the Diplomate, La Montagne des Dieux, Diplomatie, Reflets et Impact Campus.



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