Pour le temps d’une bière, Le Temps d’une Bière s’est entretenu avec le biérologue Serge Noël lors du festival Mondial de la Bière 2023.
La passion d’un biérologue
Serge Noël est impliqué dans le monde de la bière depuis plus de trente ans. Serge est un méchant passionné de bière, autodidacte, impliqué l’école Mbière et dans le Mondial de la Bière à Montréal. Tout comme Le Temps d’une Bière, il voit la bière comme une fenêtre sur l’histoire humaine, et a traduit le livre “ALL BEER guide” pour les francophones zythophiles. Serge nous raconte les débuts d’une passion:
1994, un événement majeur marqua l’histoire de la bière et, par extension, celle des microbrasseries naissantes : le tout premier Mondial de la Bière se tint sur la terrasse de la Place des Arts, à Montréal. À cette époque, la première vague de microbrasseries pointait timidement le bout de son nez, comptant à peine une poignée d’établissements. Le mouvement des microbrasseries était encore à ses balbutiements, ce qui signifiait que les étagères étaient principalement garnies de bières importées.
Les microbrasseries se trouvaient alors en minorité, et des succursales spécialisées dans la bière de la SAQ existaient déjà. Je me souviens particulièrement d’une SAQ-bière établie sur la rue Saint-Denis, bien qu’elle n’ait pas survécu plus de cinq ans, principalement en raison de son manque de rentabilité. La demande pour des bières en grande quantité ne suffisait pas à maintenir son activité, et contrairement au vin, la bière offrait des marges de profit relativement étroites.
Cependant, cette époque permit à de nombreux amateurs, moi y compris, d’explorer l’étendue de la diversité des bières du monde, affinant ainsi notre palais. De plus, elle a également contribué à perfectionner le sens du goût des premiers microbrasseurs, les aidant à mieux cibler leurs styles de bière. On pourrait même dire que la SAQ-bière a peut-être eu une influence notable sur l’émergence de la deuxième vague de microbrasseries, dont des acteurs tels que la brasserie Charlevoix.

Quelles sont les grandes tendances de la bière pour 2024?
La bière sans alcool est une grosse tendance, confirme Serge. Il précise que plusieurs acteurs importants ont pavé la voie avant de se rendre ici. Il pense notamment au développement de la bière sans gluten, qui a maturé beaucoup en cinq ans.
Glutenberg est vendu partout dans le monde et c’est une expertise québécoise exportée partout à travers le monde. La bière sans alcool existait depuis longtemps, mais c’était considéré peu intéressant. De fait, le marché des boissons sans alcool continue de monter en flèche, atteignant quelque 10 milliards de dollard en 2023.
Mais le contexte a changé, rapelle Serge. Des brasseries comme Bockale ont fait un travail incroyable pour sortir des bières sans alcool. On parle maintenant de plusieurs brasseries qui sortent des bières sans alcool pour répondre à la demande grandissante. D’autres, au nom de la diversité de l’offre. Serge nomme deux excellentes bières sans alcool fièrement produites au Québec: La Discipline de Ciboire et la IPA sans alcool de Boréale.
Le Québec est probablement un des meilleurs lieux brassicoles du Monde. On a une certaine maturité au Québec parce qu’on a des gens comme Martin Thibault, un expert prééminent sur la bière, et Pierre Clermont, une sommité sur l’histoire de la microbrasserie au Québec
Serge Noël, biérologue consultant affilié au Mondial de la Bière
Ce qui se dessine aujourd’hui, c’est un tableau où la nouvelle génération semble moins captivée par l’univers brassicole que ses aînées. Une reconfiguration du marché s’amorce, une métamorphose qui, à n’en point douter, prendra de l’ampleur dans les années à venir. Des échoppes réduisent leurs stocks de breuvages fermentés, tandis que la demande s’essouffle, tel un souffle à peine perceptible.
Par ailleurs, les microbrasseries portent une part de responsabilité dans cette transformation. Une multitude d’acteurs se sont engouffrés dans l’arène brasseuse, parfois trop précipitamment. À l’heure actuelle, 323 licences de brassage émaillent le paysage. Plutôt que de fidéliser la clientèle, on a préféré embrasser la diversité et la nouveauté. La quête incessante de l’innovation séduit les passionnés de houblon, mais se révèle peu en phase avec le consommateur moyen. Il est certainement possible de conjuguer les deux approches. Devons-nous réellement proposer près de trente bières différentes ? Une réflexion s’impose. La création d’une bière de qualité est un art qui demande du temps.
À cet égard, la New England IPA est un phénomène à double tranchant: c’est le style le plus en vogue, mais coûteux et faible en marge de profit. Avec ça, tu peux cacher les défauts. À l’inverse, la pilsner est un défi de taille, une bière exigeante. Le moindre défaut transparaît immédiatement. Elle incarne la boisson de la soif. Peut-être que l’avenir ne réside pas dans les rayons de supermarchés, mais bien dans les pubs de quartier. Ces établissements sont de véritables maisons de rencontre, des public houses, c’est ce dont les gens ont soif. Les pubs sont les nouveaux lieux de sociabilité.
