Hommage à Nicolas Cazelais
Pensons au verbe « taper ». Quelle image apparaît spontanément dans vos têtes ? Taper sur des clous ? Taper du pied ? Et dans sa forme pronominale ? Se taper le sentier de l’Acropole des Draveurs dans Charlevoix ? Associons maintenant ce verbe aux différentes couleurs de bière : Se taper une blonde ou une rousse ? Quelle image se dessine maintenant dans votre imagination ? Ou vos fantasmes, c’est selon…
Chroniqueur bière à Zone Outaouais
Fraîchement diplômé de l’Université du Québec en Outaouais, Nicolas Cazelais lançait un journal culturel dans la région ; Zone Outaouais. Une œuvre d’art à son zénith, le paroxysme du graphisme, un vent de fraîcheur. S’il y avait eu un concours pour choisir le journal culturel régional le plus esthétique au Québec, il allait gagner haut la chope.
Cazelais était également orgueilleux et fier, il l’est toujours au demeurant. Il avait entendu parler de ce gars-là, habitant la région, qui avait écrit un livre sur la bière. Il communiqua donc avec moi pour m’offrir une chronique : la première chronique « bière » de tous les journaux culturels. Je me k lissait de la paye, son enthousiasme et son karma m’envoûtaient. Il m’offrait une chronique régulière pour partager ma passion, faire connaître le monde fabuleux de la bière, une sorte de consécration. J’allais écrire pour des adultes.
Je voulais développer une signature. C’est ici qu’est intervenue la juxtaposition des verbes aux noms de couleurs. Le bouchon des bouteilles m’offrait une tentation irrésistible : « faire sauter les capsules ». Le nombre de plus en plus grand de bières qui sortaient des cuves infidélisait les amateurs et amatrices. Assoiffés de découvertes et de nouveautés, on se laissait facilement séduire par une nouvelle venue. Voyez le genre… enfin, les genres.

Au sens propre bien entendu, mais surtout au sens figuré. Comme dans le langage déjà établi du vin, la robe est employée pour parler de la couleur. Le résiduel de la mousse qui colle sur la paroi du verre se nomme la dentelle. Dans mes hallucinations, elle devenait les sous-vêtements de la bière.
Que dire de sa spiritualité ? Sa consommation nous permet de communiquer avec les êtres supérieurs, d’ouvrir les portes de la découverte, de percer les grands mystères de la vie, semblable aux sentiers que les Doors exploraient. Ma chope était remplie de ces inspirations divertissantes. Les métaphores ludiques s’empilaient dans le dictionnaire de mes fantasmes. Si j’allais être chroniqueur, je voulais m’assurer de permettre à mon imagination débridée de voyager. Voici les passages élusifs du texte soumis : « Vous voyez avec quelle frivolité je passais d’une blonde à l’autre (parlant des grandes marques)…
Pourquoi choisir à tout coup la conformité tandis que la différence vous est de plus en plus accessible… Grâce aux cinq micro-brasseries québécoises, mes visites au dépanneur ont pris une toute autre signification. Je me sens maintenant comme un vrai coureur de jupons qui se tape des rousses, des noires et des blondes, toutes plus savoureuses les unes que les autres, toutes plus séduisantes les unes que les autres. Qui plus est, ma blonde participe à ces conquêtes infernales. Au royaume des bières de dégustation, l’infidélité est non seulement permise : elle offre une source lascive de grands plaisirs sensoriels tout à fait légitimes. »
La poésie de la bière : pas une mince affaire
Retenons ici cette affirmation hilarante : « Grâce aux cinq micro-brasseries québécoises ». Il s’en est ajouté des gorgées depuis… Cette première contribution s’est butée au veto de la rédactrice en chef, Françoise Trudeau Reeve. Elle communiqua avec moi pour m’informer de sa décision. Mon texte était trop sexiste. Sauf que. Rien dans mon texte ne parlait des relations hommes-femmes, rien dans mon texte n’encourageait grammaticalement un comportement sexiste. La langue française est genrée. Pour le meilleur ou pour le pire.
Parlez-en à nos amis anglophones. Même pour nous à l’école. Est-ce un ou une avion qui nous transporte vers la Ville Lumière ? Françoise n’était donc pas en mesure d’identifier le contenu sexiste de ma chronique. La source potentielle de l’interprétation se trouvait dans la tête du lecteur ou de la lectrice. Voilà une forme étrange de censure ça, celle de caviarder l’imagination des lecteurs. Le texte n’a donc pas été publié. La décision a été approuvée par l’éditeur, qui communiqua avec moi pour m’informer de la situation.
Nicolas précisa que je n’étais pas remercié, il allait quand même honorer mes honoraires. Il ne pouvait tout simplement pas passer par-dessus la tête de sa rédactrice. Respect. La date butoire pour ma deuxième contribution était longtemps passée lorsqu’il communiqua avec moi : – Mario on n’a pas encore reçu ton texte. Il nous le faut absolument pour demain. Ma réponse, prévisible, fut : – Je vais rédiger un deuxième texte lorsque mon premier sera publié. L’argumentation qui a suivi était très polie et respectueuse.
Il tenait mordicus à publier une chronique « bière ». Plus il avançait les arguments justifiant l’importance de cette page dans sa publication, plus je sentais mon pouvoir. Ma position s’affermissait. J’ai constaté la semaine suivante que mon premier texte avait bel et bien été publié. J’ai alors communiqué avec Françoise afin de m’enquérir des plaintes…. Personne n’avait dénoncé mon « sexisme ».

Quelques lecteurs avaient même apprécié le fait que le journal publiait des articles sur la bière. J’amorçais alors ma carrière de chroniqueur avec effervescence. La besace de mes métaphores s’est enrichie de plusieurs autres analogies. La musique, le cinéma et les phénomènes météorologiques m’inspiraient au plus haut point. Pour envelopper le tout, j’allais tremper ma plume dans l’encrier poétique de Georges Brassens.
Un budget m’a été offert pour les bières qu’il m’était nécessaire de consommer pour abreuver mes chroniques. Au lieu d’amortir mon budget, j’ai convié Alain Geoffroy à toutes mes dégustations. La plus importante découverte de nos sorties nichait sur la rue principale à Aylmer, le bistro L’Autre Oeil. Un coup de foudre. Les publicains Louis, Daniel et Denise ne savaient pas qui nous étions lors de notre première visite. Le service, passionné, documenté, pertinent, était subjuguant. Nous assistions à la naissance d’un temple de la bière. Une chronique dithyrambique a suivi.
La suite des choses a confirmé nos observations. L’endroit s’est hissé en haut du palmarès des destinations incontournables pour tous les amateurs-amatrices de bonnes bières du pays. La maison a également accueilli plusieurs ateliers sur la bière, notamment les certifications « biérologue ». Elle est devenue en quelque sorte le premier centre de formation thématique en biérologie dans la francophonie. L’aventure s’est terminée lorsque Zone Outaouais a été vendu au journal Voir. La chronique bière a été maintenue pour quelques éditions. La machine à imprimer des dollars n’avait pas l’espace nécessaire pour consacrer une colonne à ce sujet considéré secondaire.
Chroniqueur hier et toujours
La rédactrice en chef d’alors, Frédérique David, m’a recruté pour poursuivre l’aventure dans l’hebdo régional Accès Laurentides. De son côté, Françoise alimentait une chronique pour l’émission matinale du samedi animée par Mario Girard à Radio-Canada, diffusée depuis le studio situé dans une corniche du prestigieux hôtel le Château Laurier à Ottawa. Elle a recommandé mon embauche à titre de chroniqueur bimensuel « bière ». C’était la première chronique « bière » radiophonique régulière au Québec.
La chimie était particulièrement laborieuse avec l’animateur. Apparence que ma chronique était un tantinet trop joviale… On ne m’a jamais officiellement remercié, mais après quatre présences, on ne m’a plus convoqué. Je ne me doutais pas, à ce moment-là, que Cazelais allait m’entraîner quelques années plus tard, malgré mes refus catégoriques, dans deux aventures fantastiques.
La première, être nommé Président du Festibière de Gatineau. Sa genèse est digne d’une aventure marquée par des trahisons, de l’espionnage et du contre-espionage. La deuxième, devenir actionnaire du bistro-brasserie Gainsbourg. On ne pouvait rien refuser à Nicolas Cazelais…. Le meilleur était à venir. Nous y reviendrons justement.
Copyright Mario D’Eer, 2023, toute reproduction interdite. Les vues exprimées ici n’engagent que son auteur.

Fermentation Spontannée
Mario d’Eer est un biérologue, conférencier et consultant. Il est auteur ou co-auteur de 14 livres sur la bière. Pour le Temps d’une Bière, Mario nous partage sa passion infinie pour les bières de qualité, du Québec à l’autre côté du monde. Retrouvez le sur Facebook. Ces capsules de fermentation spontannée constitueront autant de goutes d’un prochain livre sur la bière au Québec
L’aventure BièreMAG
BièreMag a été un chapitre important, bien que bref, dans l’essor de la microbrasserie au Québec. Dans un certain sens, l’aventure de cette passion littéraire reflétait l’engouement naissant pour la bière artisanale au Québec. Plus qu’un magazine sur la bière, BièreMag nous emmenait également en voyage. Mario d’Eer nous raconte…
Robert Charlebois : parrain de la microbrasserie québécoise
Les chansons de Robert Charlebois sont sans âge. Quand il décide de se faire échanson de la microbrasserie au Québec, il précipite la micro au Québec dans un nouvel âge.
Histoire des tavernes au Québec
Hommage à Henri Richard En bon fils de la génération de la libération de la Femme, nous ne fréquentions les tavernes qu’imbibés d’un éphémère sentiment de culpabilité. Dans les années 70, ces « sanctuaires de la domination masculine » étaient devenus une barrière importante à abattre pour le mouvement féministe. Avions-nous, nous les gars, l’autorisation légitime de les…