Leur réputation en tant que coureurs exceptionnels est souvent associée à la consommation de la Tesgüino, une bière de maïs. En 2009, le livre Born to Run consacrait les Tarahumaras au rang d’athlètes de rang international et soudait ainsi la fascination internationale. Dans la foulée, plusieurs mythes se sont créé dans le brouillard de la communaute internaute: les Tarahumaras devraient leur endurance épique à une boisson fermentée à base de maïs, ce qui leur permettrait de courir des distances incroyables. Mythe ou réalité?
Qui sont les Tarahumaras?
Les Tarahumaras, également connus sous le nom de Rarámuri, sont un peuple autochtone issu de la famille uto-aztèque. Ils habitent le nord du Mexique, dans les montagnes de la Sierra Madre, une région densément boisée de pins et creusée de larges et profonds canyons. Les Tarahumaras ne sont pas plus de 40,000. Poussés vers les hauteurs de la montagne par l’arrivée des Européens, ils ont tiré partie d’une géographie en dent de scie en se tournant vers l’élevage de troupeaux et la culture du maïs.
Des Coureurs Exceptionels?
Dès le début, les Occidentaux ont décrit les exploits en course des Tarahumaras comme des coureurs hors pair, attribuant cela à leur mode de vie, leur génétique ou leur régime alimentaire, reflétant ainsi la vision eurocentrique dominante de l’époque. Y a-t-il malgré tout une part de vérité derrière le mythe rousseauiste de l’homme sauvage ?
Le premier récit attestant du talent de marathonien des Tarahumaras provient de l’ouvrage Le Mexique Inconnu, datant de 1905 et écrit par l’explorateur norvégien Carl Lumholtz. Lumholtz décrit notamment certains membres de la communautés capables de courir “170 miles sans s’arrêter, avec d’autres transportant plus de 100 livres sur 100 miles en 70 heures, et un individu ayant parcouru 600 miles en cinq jours.”
Mais 600 miles en cinq jours, c’est ce qu’on appelle pousser l’envloppe! Par contre, les Tarahumas qui ont participé à des courses d’endurance ont régulièrement gagné des prix. En 1995, trois Tarahumaras ont terminé dans le top 10 du laborieux Western States 100 en Californie.

Qu’est-ce qui explique cette endurance?
En 1971, le physiologiste Dale Groom a effectué des tests cardiovasculaires sur des adultes et des enfants Tarahumaras, en vérifiant le pouls et la tension artérielle des coureurs Tarahumaras pendant une course de cinq heures et a constaté que leur tension artérielle diminuait pendant la course et que leur fréquence cardiaque moyenne, en courant à un rythme de huit minutes par mile, n’était que de 130 battements par minute.
Ce qui a le plus impressionné Groom, cependant, était quelque chose d’invisible à ses instruments : après avoir couru 50 miles, les Tarahumaras ne semblaient même pas fatigués. Pendant que Groom prenait leur tension artérielle, ils restaient là à discuter. Ce qui a fait conclure à Groom qu’aucun peuple n’avait acquis un tel niveau de vitalité depuis les Spartiates.
Une équipe de chercheurs incluant Daniel E. Lieberman, Mickey Mahaffey, Silvino Cubesare Quimare, Nicholas B. Holowka, Ian J. Wallace, and Aaron L. Baggish ont voulu démystifier la chose en parlant directement avec les vétérans de la communauté. Utilsant des entrevues structurées à 61 questions réparties sur dix perosnnes de 50 à 90 ans, ils ont cherché simplement à replacer la course chez les Tarahumas dans un cadre social et culturel.
Leur étude les a guidé vers les nécessités de la géographie et vers des changements importants liés à des bouleversements extérieurs. Les Tarahumas ont historiquement pratiqué un type de chasse de longue haleine appelée chasse de persistance. Cette technique de chasse nécessite une course et une endurance athlétique élevées et est pratiquée de différentes manières, impliquant toutes des compétences de suivi, de coopération et une utilisation stratégique du paysage.
Les Tarahumaras pratiquaient cette méthode de chasse pour chasser des cerfs, des sangliers et d’autres proies. Bien que la chasse persistante ait presque disparu en raison de l’introduction de nouvelles technologies de chasse et de la diminution de la faune, les connaissances limitées des chasseurs Tarahumaras fournissent des informations précieuses sur cette méthode de chasse en voie de disparition.
Ainsi, ces chasses pouvaient s’étendre sur une course de 12 à 36 kilomètres d’une seule traite, soit bien en deça des récits héroiques introduits plus hauts mais tout de même tout un accomplissement. Les membres de la communauté disaient aussi marcher régulièrement durant leur chasse. Donc exit l’idée d’une course héroique. Cela dit, la chasse persistante avait aussi pour utilité sociale de créer des liens, en plus d’être euphorisante (The Runner’s High is real!)
Le Tesgüino : un carburant social
La même recherche permet d’inférer des liens plus sobres entre la bière et la course. C’est que les Tarahumas organisent fréquemment des courses d’endurance, soit par pur plaisir ou par esprit de compétition ou bien sûr un mélange des deux. Les organisateurs de ces courses ont aussi une mission de leadership et d’hospitalité. Pour l’occasion, on amène (ou on prépare le Tesgüino) L’autre grand hobby des Tarahumaras est la danse d’endurance, elle aussi un important rituel dans la vie de tous les jours. En réalité, la pratique est loin d’être aussi formelle que le nom le suppose, et ressemble beaucoup plus à un bon vieux party. Là encore, la danse est souvent accompagnée de bière de maïs.

Dans une étude aujourd’hui datée, un chercheur affirmait qu’ils passaient presque un tiers de l’année à préparer la boisson nutritive et sacrée. Les quelques anecdotes récentes qui nous sont parvenues sont loin de confirmer une telle quqnaité, mais ce qui est certain c’est que la boisson est au coeur du quotidien. Les Tarahumas organisent “régulièrement des fêtes de bière, appelées tesguinadas, pour libérer simultanément toute passion ou colère accumulée, tout en utilisant l’excès de maïs en le fermentant pour en faire de la bière.”
Ainsi, l’anecdote des beuveries avant la course est d’abord une fiction populaire. La bière traditionelle des tarahumas touche autour de 2 à 4% d’alcool, et l’idée de se saouler pour courir n’a aucun sens, comme le sait quiconque a déjà eu la gueule de bois.
Les Tarahumaras sont réputés pour leur incroyable endurance en course à pied, ce qui a été démontré lors de diverses compétitions. Cependant, il est important de noter que leur capacité à courir de longues distances est le résultat d’années de pratique, d’une alimentation équilibrée et d’un mode de vie actif, et non pas de la consommation d’alcool excessive.

Ce que la science dit
Des études scientifiques ont examiné l’endurance exceptionnelle des Tarahumaras. Une recherche menée par l’Université du Colorado a révélé que leur capacité à courir sur de longues distances est liée à des adaptations physiologiques uniques, telles qu’une efficacité musculaire accrue et une capacité pulmonaire améliorée. Ces adaptations sont le résultat d’une vie active et d’un entraînement régulier, et non de la consommation d’alcool.
Si la question fascine, c’est qu’un mythe largement répandu veut que l’alcool aide à la course. Cependant, un rapide coup d’œil aux effets de l’alcool sur le métabolisme suffit à déconstruire cette idée populaire. La consommation d’alcool réduit la capacité du foie à produire du sucre dans le sang, diminue la capacité du corps à transformer la nourriture en énergie, altère la coordination, ralentit la production de l’hormone de croissance nécessaire à la réparation des tissus musculaires et augmente la production d’acide lactique.
Les défenseurs de cette thèse diront que la bière est bénéfique après l’entraînement en raison de son apport en vitamines et de ses calories. Hélas, ce n’est pas exact. L’alcool vous empêche de vous hydrater, ce dont vous avez besoin après un bon entraînement. De plus, l’alcool ralentit le temps nécessaire à la récupération, car le corps donne la priorité à l’élimination de la toxique molécule d’alcool éthylique. Le corps a besoin d’eau pour métaboliser l’alcool en acétaldéhyde, une molécule encore plus toxique que l’alcool, ce qui finalement produit de l’acide acétique. Pour le corps, ce processus est une priorité de survie, passant avant la réparation des muscles.
Mais la bière sans alcool?
Sans surprise, une fois enlevé l’alcool, il reste la calorie liée à la céréale et aux vitamines.
Certains chercheurs se sont demandés si la bière sans alcool pourrait être une boisson plus adaptée, acceptable et même conseillée pour les personnes actives. Les premières pistes ont été révélées dans une étude très discutée de 2012 portant sur 277 hommes inscrits au marathon de Munich.
Les scientifiques ont demandé à la moitié d’entre eux de boire environ deux à trois pintes de bière sans alcool chaque jour pendant trois semaines avant la course et deux semaines après. Les autres ont bu un placebo au goût similaire en tant que groupe témoin. (Petit bémol. L’étude était financée par une brasserie allemande, mais les chercheurs ont déclaré dans l’étude que le brasseur n’avait aucun impact sur la conception ou l’analyse de l’étude!)
Sur les Tarahumara
- Born to Run, Secrets of the Tarahumara
- The Tarahumara of Mexico, Carla Paciotto
Les effets de l’alcool sur le sport
- Barnes, M. J., & Mündel, T. (2010). Effects of Alcohol on the Endocrine System and the Hypothalamic-Pituitary-Adrenal Axis. Current Alcoholism Reports, 7(4), 271-276. DOI: 10.1007/s12671-010-0041-z
- Barnes, M. J. (2014). Alcohol: Impact on Sports Performance and Recovery in Male Athletes. Sports Medicine, 44(7), 909-919. DOI: 10.1007/s40279-014-0192-8
- Vella, L. D., & Cameron-Smith, D. (2010). Alcohol, Athletic Performance and Recovery. Nutrients, 2(8), 781-789. DOI: 10.3390/nu2080781
- Poulsen, M. B., Jakobsen, J., Aagaard, N. K., & Andersen, H. (2017). Effects of a moderate alcohol consumption on supraspinatus tendon biomechanics and biology in rats. European Cells and Materials, 33, 2-14. DOI: 10.22203/eCM.v033a02
- Vingren, J. L., Hill, D. W., Buddhadev, H. H., et al. (2013). Post-Resistance Exercise Ethanol Ingestion and Acute Testosterone Bioavailability. Medicine and Science in Sports and Exercise, 45(9), 1825-1832. DOI: 10.1249/MSS.0b013e318290c31e
- Maughan, R. J. (2012). Alcohol and Sport: Impact of Social Drinking on Recreational and Competitive Sports Performance. Sports Medicine, 42(10), 815-823. DOI: 10.2165/11633120-000000000-00000
- Parr, E. B., Camera, D. M., Areta, J. L., et al. (2014). Alcohol Ingestion Impairs Maximal Post-Exercise Rates of Myofibrillar Protein Synthesis following a Single Bout of Concurrent Training. PLOS ONE, 9(2), e88384. DOI: 10.1371/journal.pone.0088384