Entrevue avec les Bieres Philosophales

En revenant du petit séjour entre amis à Montréal, j’ai décidé d’en profiter pour prendre en entrevue un grand ami, Max Ducharme, brasseur et co-propriétaire des Bières Philosophales. Apprenti-alchimiste, philosophe indomptable, amateur de heavy-metal, Max a toujours une observation existentielle dans sa manche, et il est toujours prêt à parler des vraies affaires.

Entre plusieurs échantillons généreux de Rubeda et de Crispy Pastry Stout, j’ai réussi au moins à enligner une couple de questions.

Une microbrasserie philosophale?

Vue la consonnance magico-religieuse du nom de la brasserie, il fallait qu’on commence par le début. Ça vient d’où les bières philosophales?

Pour y arriver, il faut parler du long parcours de Max. Il explique: “à la base, moi j’aime les connections profondes, les belles discussions. Quand j’étais petit, j’étais très affecté par le sort du monde. Je me demandais pourquoi le monde souffre. Longtemps, ma première grande question, c’était pourquoi il y a des gens méchants? Pourquoi à l’école le monde se font taper dessus?”

Fast forward quelques années, je commencer de la musique a 16 ans avec du monde un peu comme moi. Nos sujets de conversations, c’était de parler de l’État du Monde. On se sentait moins affecté parce qu’on avait notre propre description du monde. On donnait du sens à ce qui nous arrivait et on trouvait nos propre réponses. 

Ça donne le premier débouché dans ma quête : philosopher, ça faisait du bien! On parlait pas de Platon ou de Descartes : on parlait de nous-même à travers une sorte de philosophie spontannée. On voulait répondre à des questions qui jaillissaient de nous-même. C’est comme ça que j’ai rencontré Fred. Lui aussi en vivait beaucoup à l’intérieur, mais il était très Stoïque. Lui, son refuge, c’était les livres et l’histoire. Il avait une super mémoire sur tous les noms des personnages des grands événements. 

Un jour, on marchait dans la forêt et il a dit – hors de nulle part – si jamais tu pars une brasserie, tu appeleras ça “les bières philosophales”. C’est drôle parce que ça venait de nulle part! J’étais même pas encore dans la bière. Cette idée m’est toujours restée dans la tête.

Je me suis dit, peut-être qu’un jour je vais me lancer dans le brassage. Au fil de plusieurs rencontres, j’ai finalement fini par me lancer. Puis j’ai pris un cours de brassage à Laval avec Pascal Desbiens. Au début c’était plutôt théorique. J’ai eu de l’aide de Dominique à la Chope à Barroque. La première bière que j’ai brasser avec une vraie recette, c’était une rousse. Dans ce temps la, ça existait pas en épicerie ou au dépanneur des bières rousses. Dominique m’avait fait changé toute ma recette, m’avait fait goûter le grain et m’avait présenté tous ses houblons. À chaque nouvelle recette, il me mettait au défi de penser par moi-même et de faire mes propres expériences.

Philosopher et barriquer

Après ça, j’ai mis en place un mécanisme. J’ai commencé à m’équipper. Il y avait pas vraiment de communauté dans ce temps-là. Mon mash tun, c’était moi qui l’avait fait en perçant les trous par moi-même. C’était broche à foin mais je trouve que ça m’a aidé. Mets ça en perspective: nos ancêtres faisaient moins bien que ça!

La conversation définitive au brassage était consacrée en 2010.

“J’ai 30 ans et on est en 2010. Ma vie de musique se termine : je fais ma dernière tounrée après avoir roulé ça pendant six ans. À l’époque, je gère les réseaux informatiques de la ville de Montréal. J’avais essayé plusieurs choses : la musique, l’information, etc. Mais je ne trouvais pas le juste équilibre entre l’intellectuel et le créatif.”

Sauf que là le contexte étai différent. En 2010, le monde de la bière avait changé : il commence à y avoir des communautés, des livres, des ressources. Donc je commence à tester un peu tout. Je commence à brasser avec une optique d’effacité pour essayer d’obtenir plus rapidement les résultats que je veux avoir. Je commence a avoir des bonnes critiques de ma communauté. J’arrête de vouloir tout brasser et je commence à perfectionner mes recettes. J’ai participé à un concours en 2014 avec une Russian Imperial Stout ou j’ai gagné la médaille d’or. J’ai vraiment senti que j’étais à la bonne place.

En 2017, je vois qu’il y a un cours avec Michel Gauthier en démarrage de brewpub et de microbrasserie. C’était un cours privé. Le cours abordait des questions comme brasserie industrielle versus brewpub : procédés, nettoyants etc. J’ai ensuite pris un cours de brassage avancé pour aller chercher ma certification, ce qui me donnait le droit de prendre mon permis de brasseur à la RACJ. 

On a fait notre plan d’affaires pendant un an. J’ai pris le temps de penser à tout. J’ai longtemps buté sur la mission et la vision de l’entreprise. Je me demandais sérieusment ce que j’ajoutait au monde brassicole. C’est là que Les Bières Philosophales ont resurgi : je voulais que les gens voyagent à travers la bière avec une aventure émotionelle et dégustative. Je voulais aussi un environment exemplaire pour mes clients et pour mes entreprises. En gros, notre vision, c’était qu’on créait une expérience complète. C’était aussi donner un aspect noble à la bière. Pourquoi on prends l’altération de la bière? Parce que ça donne à l’humain une porte d’entrée dans des discussions plus libres. Alors on voulait aussi que les gens qui viennent ici puissent laisser aller leur côté artistique. 

Une pandémie de bières philosophales

Avant que la pandémie frappe, on était quand même assez avancés. On a essayé dans six endroits différents dans quatre villes différentes. Quand on arrive à Mirabel, il y a un troisième partenaire qui se joint à nous. On dessine le plan de salle. On a un entrepreneur, on a les budgets. La banque a accepté notre projet : tout ce qu’il reste à faire, c’est de signer le bail. Et c’est là que la pandémie.

Tout ferme le 14 mars 2020, alors on met tout sur pause. Je me suis dit “si on arrête ça là, c’est fini, je ne repars pas ça. C’est là ou c’est jamais.” J’étais prêt à abandonner. C’est là qu’une conseillière de micro-crédit m’appelle pour me demander ce que je faisais.

Elle me dit qu’on était le seul projet pour lequel on est prêt à prêter de l’argent dans le contexte de la pandémie. Cette femme-là croyait en moi.

Alors j’ai téléphoné aux autres microbrasseries. Surprises : les microbrasseries n’avaient jamais vendu autant de bières! Donc on a changé le plan d’affaires, on a fait une boutique en ligne, on a encanné tout de suite et vendu sans contact. On a été capable de survivre parce que le monde avait soif pareil!

Pour l’occasion, Max sort son petit barril de vin d’orge, un véritable délice mûri des mois pour le temps des fêtes

Max poursuit: Je pense qu’on a bien fait de miser comme ça parce que cette année là il n’y a pas eu beaucoup de permis. On s’est dit, peu importe ce qui arrive, notre permis nous permet de nous adatper à toutes les crises.

Le projet dans sa forme actuelle, c’est un tremplin vers ce qu’on veut faire. Au fond je veux transmuter un partie de mon âme à travers la bière. Une bière, c’est un peu comme une chanson : tu as les mélodies, les rythmes, les structures. Quand je fais une bière, je pense à ce que je veux sentir. Le goût suit cet ordre de pensée-là. Quand je bois ma Rubeda, je me sens comme dans un feu de camp avec des amis. C’est une émotion avant de devenir une saveur. 

Difficile de ne pas voir le processus alchimique là-dedans. Certaines recettes sont parfois des jaillissements. Parfois je suis exposé à des arômes et ça me donne le goût de mélanger des trucs que j’ai jamais créé. Jaillissement créatif mélangé à l’approche scientifique du brasage. C’est important d’avoir les deux. 

Allez découvrir les Bières Philosophales et philosophez un peu avec Max pour le temps d’une bière

Si l’envie vous dit, allez voir cet épisode ou on parle ensemble d’alchimie médievale!

Pierre-Olivier Bussières

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