Le ministère irakien du Tourisme et des Antiquités a annoncé la découverte d’une taverne sumérienne vieille de 5 000 ans dans la province de Dhi Qar, dans le sud du pays. Les fouilles archéologiques ont permis la découverte de plusieurs artefacts datant de différentes périodes de l’histoire de la région, allant de la période préhistorique jusqu’à l’ère islamique. Les découvertes incluent des poteries, des bijoux, des monnaies, des sceaux et des statues. Les fouilles ont également révélé des preuves de l’existence de relations commerciales entre la région de Dhi Qar et d’autres régions de la Mésopotamie et du golfe Persique.
Una tavere sumérienne typique?
Plus important encore, le site du Dhi Qar a jeté une lumière nouvelle sur le mode de vie des habitants de la région à une époque où les premières villes du monde connu étaient encore à leur enfance. Déjà au début des grandes cités-états sumériennes, la bière joue un rôle fondamental dans la vie de tous les jours. Elle est au centre de l’alimentation, du commerce et des croyances. Elle remplace probablement l’eau, d’ailleurs, et sert même de monnaie d’échange officieuse. À tel point que la monnaie officielle sumérienne est marquée de l’image d’un grain d’orge.
La taverne de Dhi Qar aurait tenu lieu de brasserie, d’auberge et de lieu d’échange. Les chercheurs décrivent une de leur trouvaille les plus intéressantes comme un système de refroidissement pour garder la bière fraîche et retarder son sûrissement.
La bière, puissant moteur de la civilisation en Mésopotamie
Rappelons-le, l’Irak est au coeur du berceau de la civilisation. La Mésopotamie, qui doit son nom à sa position entre le Tigre et l’Euphrate, a vu s’élever quelques unes des plus anciennes villes du monde. La maîtrise de la fermentation aurait joué un rôle de haute importance dans le développement des villes, servant à la fois de nourriture, de breuvage et d’offrande divine. Certaines céréales disponibles à l’époque auraient même été plus nutritives sous forme de bière que de pain.
Outre la valeur nutritive, la fermentation servait aussi de technique de conservation. La fameuse hypothèse de la bière avant le pain, qui postule que la bière aurait été l’incitatif principal de la sédentarisation, est validée par certaines découvertes de résidus associés à la production de breuvage fermentés dans la vallée du Jourdain, en Israel, de même qu’en Chine. La question fait encore débat : la fiabilité des testes demeure et la méthodologie d’analyse continuent de diviser la communauté scientifique.
Le contexte géopolitique ou s’insère cette taverne est par contre mieux connu: Il y a 5 000 ans, Lagash était intimement lié aux cités-états voisines de Girsu et Nigin, centres religieux et politiques de la civilisation sumérienne. Durant la période des dynasties archaïques, allant de 2900 avant J.-C. à 2334 avant J.-C., ces cités-états ont connu leur essor. Lagash était connue pour sa richesse et son pouvoir politique, et a été gouvernée par plusieurs dirigeants puissants tels que Gudea. Les découvertes archéologiques de Lagash ont fourni des informations précieuses sur la vie et la culture des peuples de la Mésopotamie ancienne.
Les Sumériens produisaient différents types de bières, notamment la bière de pain, qui était fabriquée à partir de pain d’orge fermenté, et la bière de miel. Plusieurs types de bières sont documentés dans l’ancienne Sumer, et les sources incluent des tablettes cunéiformes et des découvertes archéologiques. Certains des types de bières mentionnés dans ces sources comprennent “kash”, “sikaru”, “vin d’orge”, “bière brune” et “bière légère”. Ces bières étaient brassées à partir de divers grains tels que l’orge, le blé et l’épeautre, et étaient souvent supplémentées avec des dattes ou du miel et aromatisées avec du fenouil, de la coriandre, du cumin et de la cardamone.
Les textes sumériens mentionnent huit bières d’orge, huit bières d’épeautre et trois bières mélangées. “L’Hymne à la déesse de la brasserie Ninkasi” datant de 1800 avant J.C., contient une recette de cette boisson fermentée et constitute, pour ainsi dire, la plus vielle recette écrite de boisson fermentée à base de grain. Les brasseurs modernes ont utilisé les instructions pour recréer cette ancienne recette de bière d’orge et de blé qui donne un breuvage pâle et doux, avec un faible taux d’alcool de 2 %.
La bière ou le pain : qu’est-ce qui a causé l’adoption de l’agriculture?
Certains chercheurs ont même émis l’hypothèse audacieuse selon laquelle la bière aurait été l’élément qui a incité à la sédentarisation des populations, marquant ainsi la transition d’un mode de vie nomade à des colonies permanentes. Cette théorie controversée, parfois surnommée “la bière avant le pain”, a suscité des débats au sein de la communauté scientifique. Des découvertes de résidus associés à la production de boissons fermentées dans des régions éloignées comme la vallée du Jourdain en Israël et même en Chine ont soutenu cette idée.
La taverne de Dhi Qar trouve son ancrage historique au sein de la période des dynasties archaïques, qui s’étendait de 2900 av. J.-C. à 2334 av. J.-C. À cette époque, Lagash était un centre névralgique de richesse et de pouvoir politique, gouvernée par des dirigeants puissants tels que Gudea. Les Sumériens, dans leur créativité brassicole, produisaient différents types de bières, en utilisant une variété de grains tels que l’orge, le blé et l’épeautre, parfois agrémentés de dattes, de miel et d’épices.
L’épopée de la taverne sumérienne millénaire de Dhi Qar nous renvoie ainsi aux racines profondes de la civilisation. Elle témoigne de la créativité et de l’ingéniosité des anciens Sumériens, de leur reliance avec les divinités et de leur désir d’échange et de partage autour de la table. La bière, bien plus qu’un simple liquide fermenté, a été le moteur qui a propulsé les premiers pas de l’humanité sur la voie du progrès et de la culture.
La Consommation d’Alcool dans le Moyen-Orient et en Afrique
À travers les voiles du temps, les fouilles archéologiques dans diverses régions du Moyen-Orient et de l’Afrique dévoilent progressivement les secrets cachés de la consommation d’alcool dans les civilisations antiques. Si la taverne sumérienne de Dhi Qar apporte un éclairage captivant sur les us et coutumes de la Mésopotamie, elle ne fait que partie d’un vaste réseau d’histoires anciennes écrites dans l’ambre liquide de l’alcool. En comparant et contrastant les découvertes archéologiques récentes, nous sommes en mesure de reconstituer un panorama plus large de la façon dont les peuples de l’Antiquité ont élevé leurs coupes et levé leurs verres.
Égypte Ancienne
En quittant les rives fertiles de la Mésopotamie pour traverser le désert, nous arrivons en Égypte, où les anciens Égyptiens ont également entretenu une relation étroite avec les breuvages fermentés. Des récipients datant de l’Égypte antique, découverts dans des tombes royales et des maisons, dévoilent une prédilection pour la bière et le vin. La bière, appelée “zythum”, occupait une place centrale dans la vie quotidienne de l’époque. Elle était fabriquée à partir de l’orge et servait de base nutritionnelle pour la population. Quant au vin, il était souvent réservé aux élites et aux rituels religieux.
L’une des découvertes les plus emblématiques est celle de la tombe du roi égyptien Scorpion Ier, datant d’environ 3150 av. J.-C., où des résidus de bière ont été identifiés dans des pots en céramique. Ces artefacts révèlent que la bière était également un élément culturel et social important, reliant les anciens Égyptiens à leurs divinités et à leurs ancêtres.
Le Royaume Koushite
Les horizons s’élargissent davantage lorsque l’on se tourne vers le royaume koushite de Nubie, situé dans la vallée du Nil, au nord de l’actuel Soudan. Cette région a vu émerger une civilisation prospère, fortement influencée par l’Égypte antique. Des découvertes archéologiques dans cette région ont mis en lumière des preuves de brassage de bière dès 4000 av. J.-C., plaçant ainsi les habitants de Koush au cœur d’une tradition brassicole millénaire.
Les fouilles à Dangeil, une ancienne cité koushite, ont révélé des récipients de bière décorés, suggérant une célébration continue de la boisson fermentée dans cette société. Les analyses chimiques des résidus ont confirmé l’utilisation d’orge dans la fabrication de la bière, rappelant étonnamment les méthodes utilisées dans la Mésopotamie antique.
L’Afrique des Pharaons et de la Bière de Miel
Les liens entre l’Afrique et le Moyen-Orient ne s’arrêtent pas là. Les récits historiques évoquent des échanges commerciaux et culturels entre les anciennes civilisations africaines et moyen-orientales. Les hiéroglyphes égyptiens dépeignent des scènes de diplomates étrangers apportant des offrandes, parmi lesquelles se trouvent des jarres de bière. Les cultures égyptienne et koushite se sont mutuellement influencées, avec des preuves d’échanges diplomatiques, artistiques et économiques.
Parallèlement, l’Éthiopie antique abrite des traditions de brassage de bière de miel, une pratique qui se poursuit encore aujourd’hui dans le pays. Cette bière de miel, appelée “tej”, est une boisson fermentée aromatique et sucrée, célébrée pour ses vertus médicinales et son rôle dans les rituels culturels. Des preuves archéologiques de telles boissons remontent à l’ancien royaume d’Aksoum, fondé vers le 4e siècle av. J.-C., illustrant une connexion profonde entre l’Éthiopie et les pratiques brassicoles.
Pour conclure
À mesure que nous explorons les vestiges du passé, les découvertes archéologiques du Moyen-Orient et de l’Afrique révèlent des parallèles fascinants et des nuances culturelles. Les anciennes civilisations partageaient une fascination commune pour les boissons fermentées, qu’elles soient à base d’orge, de miel ou de raisins. Ces breuvages ne se limitaient pas à une simple consommation, mais étaient ancrés dans des rituels, des croyances et des pratiques sociales.
Bien que les découvertes varient en termes de chronologie et de contexte, elles convergent vers une réalité fondamentale : la consommation d’alcool a été un fil conducteur qui a lié les peuples de l’Antiquité, transcendant les frontières géographiques et culturelles. L’étude de ces vestiges archéologiques nous offre un aperçu précieux de la façon dont l’alcool a façonné l’histoire, nourri les esprits créatifs et symbolisé les liens sociaux à travers les âges.
Pierre-Olivier Bussières
Pour en savoir plus
- “L’importance historique de la bière de Lagash en Mésopotamie” : https://www.franceculture.fr/emissions/le-salon-noir/limportance-historique-de-la-biere-de-lagash-en-mesopotamie
- “La bière en Mésopotamie antique” : https://www.arkeogazette.fr/la-biere-en-mesopotamie-antique-20200706/
- “La brasserie sumérienne, l’ancêtre de toutes les bières” : https://www.lepoint.fr/science/la-brasserie-sumerienne-l-ancetre-de-toutes-les-bieres-27-08-2013-1720682_25.php
- “La recette de bière la plus vieille du monde” : https://www.20minutes.fr/arts-stars/culture/1462149-20141022-video-recette-biere-plus-vieille-monde-date-3900-ans
- “Découverte de la plus ancienne brasserie d’Égypte” : https://www.lefigaro.fr/sciences/decouverte-de-la-plus-ancienne-brasserie-d-egypte-20210719