Le mot “bagosse” “baboche” au Québec est un terme populaire et familier utilisé pour désigner l’alcool, et plus particulièrement celle de mauvaise qualité.
Qu’est-ce que la bagosse?
Les origines exactes du mot “bagosse” ne sont pas claires, mais il est largement admis qu’il dérive du terme français “bague de saucisson”. En France, la “bague de saucisson” était une expression utilisée pour décrire un mauvais vin, et il est possible que ce terme ait été importé au Québec et se soit transformé en “bagosse” au fil du temps. Selon le dictionnaire USITO, le terme bagosse est probablement dérivé de l’espagnol bagazo “marc” ; de bagasse “résidu de la canne à sucre”. Le vocabulaire ne désigne pas toujours la même chose, dépendamment du territoire. Aux îles de la Madeline, la bagosse aurait été tout type d’alcool artisanal à base d’eau, de sucre et de levure, aromatisés aux herbes de la terre(y compris aux pissentlis!) Des commentateurs plus sobres de la région en parlent plutôt d’un vin à base de différents fruits de l’île. En Acadie, la bagosse aurait davantage tiré sur un goût de pomme.

Pourquoi buvait-on de la bagosse?
On retrace des alcools maison depuis le début de la colonisation en Amérique du Nord. À tout le moins, les colons français auraient très tôt tiré du vin de la vigne locale, quoique avec des résultats mitigés. Ils auraient fermenté de la bière d’épinette, mais avec un taux d’alcool habituellement au-dessous de 1%.
Vers le début du 19e, suivant la tendance aux États-Unis, on aurait commencé à préparer des alcools de bois au clair de la Lune en partie pour éviter de payer gros prix (d’où l’origine du Moonshine) Fin 19e siècle, le Québec tombe dans un marasme économique. La pauvreté galopante favorise ainsi un commerce illicite d’alcool fort (hors des taxes de l’état et plus facile à transporter que la bière). Mais c’est la prohibition américaine qui va catapulter la bagosse dans sons sens moderne.
En 1920, les États-Unis votent l’interdiction de la vente, de la production et du transport d’alcool. Aussi voté, la loi est baffouée par des légions d’Américains assoifés qui viennent acheter légalement l’alcool canadien. C’est aussi, pour les plus préssés et les moins nantis, l’apothéose de la bagosse. Cette époque, doublée du chômage chronique qui aplatit le Bas-Canada (aujourd’hui le Québec) consacre aussi le terme “robineux”, gens de peu de sous qui buvaient du “rubbing alcohol” pour soulager leur misère le temps d’un verre. Une astuce de l’époque consistait à faire passer d’alcool à rasage à travers une miche de pain et boire le liquide ainsi filtré, chose qui, évidemment, restait éminément nocive.

Comment faisait-on de la bagosse?
A priori, les principaux ingrédients de la bagosse sont la mélasse brute et/ou le sucre blanc. Ces sucres durs auraient remplacé ou renforcé l’orge et le blé souvent utilisés dans le brassage. La patate renforcée de surce blanc, puis aromatisée, était également une recette courante.
La bagosse (ou bagoche) prenait autour de sept jours a fermenter. Toutefois, les contrebandiers, flairant la bonne affaire avec une vente rapide, trouvaient régulièrement des façons d’accélérer le processus en utilisant des produits hautement dangereux. En utilisant de l’urée, par exemple, certains pouvaient réduire la durée de fermentation à 48 heures.

Pourquoi la bagosse était si dangereuse?
Les bagosses, baloches et tord-boyau qui se déversent dans les érablières du Québec, des Maritimes et de la Nouvelle-Angleterre contiennent souvent des produits chimiques dangereux. Entre 1926 et 1933, on estime que 10 000 Américains sont morts d’un empoisonnement causé par de l’alcool contaminé. La baboche représentait, même sous le premier ministre québécois René Lévesque, un véritable problème de santé publique. Ces chiffres posent une question critique : puisqu’on connaît la distillerie depuis le tout début du moyen-âge, pourquoi seul la bagosse et les alcools frelattés émergent comme un grave problème de santé publique si tardivement dans l’histoire.
Pour répondre à cette question, il faut d’abord expliquer le processus de distillation. Le taux d’évaporation de l’alcool étant plus bas que celui de l’eau, c’est l’alcool qui s’évapore en premier. Avec le bon équipement, on peut donc le concentrer en captant l’alcool éthylique. Le problème, c’est que le procédé crée aussi d’autres composés chimiques, qui eux peuvent être très toxiques. C’est d’ailleurs ce qui valut aux produit de distillerie le nom de spiritueux, des “esprits”. Si on se contente de chauffer de l’alcool à basse température, le problème est beaucoup moins important. Le problème se pose lorsqu’on échoue à contrôler la température, ou lorsqu’on accélère la vitesse de distillation artificiellement.
Parmi eux, on retrouver le métanol, qui s’est valu le nom d’alcool de bois au début du 20ème siècle, soit parce qu’on en faisait beaucoup dans l’ombre des forêts des Appalaches, soit parce qu’on chauffait au bois pour brûler l’alcool. Le méthanol est extrêmement toxique et peut être fatal pour l’humain. Le méthanol est un acide qui bloque tout simplement le système nerveux. L’historian américain Daniel Okrent relate un article de presse indiquant une opération de contrabande basée à Buffalo qui fabriquait un gin de contrebande dont le volume contenait jusqu’à 38% de méthanol. Dans un autre alcool frelatté, le Jamaicain Ginger, on a relevé un contenu de méthanol atteignant 80%. Une seule gorgée suffit à rendre aveugle et causer des dommages irréparables au système nerveux.
Parce que l’alcool devait être dénaturé avant de sortir des distilleries durant la prohibition américaine, il était courant de masquer le goût peu appétissant d’une bouteille avec certaines aromates. Ainsi, le genévrier et le soda sont devenus les partenaires principaux du gin, qui est devenu soudainement durant la prohibition un alcool de choix pour les gens “chics” après avoir été boudé pendant des siècles. Quant au soda, un patron d’une grande compagnie de soda déclare que la prohibition est si bonne pour les affaires qu’il engage sa compagnie à ne pas offenser ni les partisans de la prohibition ni ses adversaires. C’est aussi à cette époque qu’un obscur médicament indien, la quinine (ou eau de quinine), entre dans la légende. La quinine avait été initialement développée par des médecins indiens comme cure contre la malaria. Son goût amer avait été jugé excellent pour masquer les goûts souvent infects de l’alcool industriel dénaturé qui remplissait les verres des speakeasies américains.
Mais les aromates ne sont rien à comparer des produits chimiques terrifiants qu’on pouvait retrouver dans les alcools frelattés : Alcool isopropylique, iode, glycérine, acide sulfurique et formaldehyde.
La bagosse avait des hautes chances de contenir différentes produits chimiques nocifs et des métaux lourds. Les contrebandiers et ou distillateurs artisanaux avaient aussi pour habitude d’utiliser des radiateurs à auto. Pourquoi? Parce que ces derniers pouvaient être rapidement transformés en condensateurs dans les alambics artisanaux. L’ennui, c’était les résidus de glycol (ou d’antigel) et de plomb se retrouvaient fréquemment dans les produits finaux. La contamination par le plomb était particulièrement grave : même une petite quantité pouvait entraîner le saturnisme, une maladie aiguë qui dégrade les fonctions biologiques vitales et induit des troubles systémiques majeurs tels que des troubles neurologiques.

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Sources
La prohibition sur la frontière Québec-Vermont (1860-1930), Érudit
L’est du Québec et la contrbande d’alcool, Érudit
Caribou, , bagosse et p’tit blanc : l’alcool maison et sa consommation, OhDio
L’alcool frelatté, Histoire de chez nous
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