Texte de Anabel Manzano “Lupulina”. Anabel a toujours aimé raconter des histoires et, un jour, elle a découvert qu’être journaliste est le plus beau métier du monde. En chemin, elle a trouvé une pinte de bière artisanale et a fusionné ses deux passions à Desde la Barra.
« On me dit souvent que je fais des bières que personne d’autre ne fait. C’est pour mieux comprendre les processus. » – Pedro Ortiz
Il aime compliquer les choses et vise toujours la perfection. Il a remporté 17 médailles dans des compétitions nationales et internationales. En plus de s’être mesuré aux plus grands, il les a fait trembler. Il s’agit de Pedro Ortiz, un brasseur exceptionnel, et le meilleur brasseur amateur du Mexique.
Son intérêt et sa curiosité pour la bière sont authentiques, notamment pour les styles traditionnels et la formule magique des levures belges. Il sait que le processus, et non l’équipement, est la clé d’une bonne bière. Pourtant, Pedro n’est jamais satisfait et vise toujours l’extraordinaire.
Selon lui, un bon brasseur doit invariablement penser comme un brasseur débutant : avoir la soif d’apprendre, de créer et de fabriquer.
Commençons par le commencement
L’histoire de Pedro remonte à 2006, au moment de sa rencontre avec José Miguel García (Brasserie Espantapájaros). Cette amitié lui fait découvrir un monde au-delà de la « lumière et de l’obscurité. »
Lorsque José Miguel a ouvert Tu Chela, un magasin de fournitures pour brasseurs à Coyoacán, il a également commencé à donner des cours de brassage. Pedro y a assisté et a acheté son kit de brassage artisanal, a dévoré certains des livres les plus importants sur la bière et n’a plus jamais cessé de faire des recherches.
« J’ai réalisé que la fabrication de la bière, même si c’est à la maison, est suffisamment compliquée pour être intéressante (du point de vue de sa bonne exécution), et suffisamment excitante pour être amusante. Ici, vous pouvez être à n’importe quel niveau, c’est ce qui a attiré mon attention : pouvoir évoluer techniquement », affirme-t-il.

José Miguel se souvient que Pedro n’a cessé de lui poser des questions, d’échanger des informations, de demander des conseils et de lire, « il s’est plongé dans beaucoup de choses et en peu de temps, il me parlait avec beaucoup de lucidité. »
Assistant au cours en tant que simple spectateur, il partageait ses bières et ses expériences de brassage avec les autres étudiants. Il a d’ailleurs brassé de nombreux styles et est passé de la fabrication de bières légères à l’expérimentation de différentes levures et barriques. Il n’a jamais été très porté sur les IPA, tant dans la création que la consommation (à cause de l’amertume), son agitation créative l’orientant vers des styles européens, plus précisément les bières brassées dans des fermes et monastères, celles qui ne sont plus produites dans son propre pays.
Deux ans après le début du cours en 2018, son nom, et du même coup ses méthodes, commençaient déjà à circuler.

Règle d’or: Ne pas avoir peur du succès
Avec une Oud Bruin, il a remporté sa première médaille (argent) à la Mariachela Cup, se distinguant comme le seul brasseur artisanal au classement des médailles. Il a ensuite fait sa marque dans deux autres concours Proam : Copa Cerveza Laguna et Copa Cerveza Regia. Dans le premier, il a terminé deuxième dans la catégorie Best Of Show, avec une Belgian Dark Strong Ale, et il a remporté l’or dans sa catégorie, s’imposant devant la Cervecería Dos Aves. Plusieurs autres prix s’ajoutent à la liste, dont la mention Best of Show dans la Copa Cerveza Mx amateur, avec une Italian Grape Ale.
C’est ainsi qu’il a trouvé sa voie dans la bière, « il a arrêté de faire des choses simples, pour faire des choses vraiment folles, il se procure des levures rares et nous éblouit à tout coup », dit José Miguel. Ses nombreux succès et médailles en sont la preuve!
Malgré toutes ses impressionnantes victoires, Pedro a voulu se compliquer la vie à nouveau. Sa bière la plus appréciée, et la plus difficile à fabriquer, était en route.
Des bières exceptionnelles
Red Flanders Solera, qu’il surnomme aussi son petit fils, est une bière lancée il y a six ans qui fusionne un style belge traditionnel avec la méthode de brassage de la solera, style de brassage utilisé par les producteurs de xérès de la péninsule ibérique. Pedro la fait ensuite vieillir dans des fûts achetés à un tonnelier lors d’un voyage à Tequila, Jalisco.
« C’est une bière qui évolue. Il faut faire des mélanges, voir comment contrôler l’acidité. C’est très laborieux et il faut être toujours réveillé, comme avec un petit enfant », dit-il. Il a remporté plusieurs médailles avec cette bière, dont la plus récente est l’or au concours amateur Aro Rojo.
Pour le moment, son plus grand défi est une bière Eisbock. Outre le temps qu’il lui a fallu pour la préparer (12 heures), il s’agit de l’un des styles les plus rares dans le monde de la brasserie, car après la fermentation, il doit être congelé. Pedro l’a conservé pendant un an dans le réfrigérateur de sa maison.

« Cela commence avec une Doppelbock à forte teneur en alcool qui a la particularité de se distiller par congélation. On retire ensuite la glace pour que la base commence à se concentrer. Il faut qu’elle soit à 14 degrés (d’alcool). La chose la plus intéressante est que le consommateur ne la sent pas », explique-t-il.
Il s’est aussi lancé dans la création d’une Bière de Champagne dans laquelle il utilise la méthode champenoise (un système où le vin subit une seconde fermentation en bouteille) qu’il qualifie de très belle technique, mais prévient que le processus est long et désastreux et qu’il doit être amélioré.
Faire de la bière pour la comprendre
Pedro produit des lots de 20 litres dans des pots, des bacs en plastique et des équipements qu’il a modifiés pour améliorer ses résultats. Les processus, les techniques, les levures, les fûts, la passion et beaucoup de patience font la différence. Mais avant tout, c’est le respect qu’il a pour la bière qui fait la différence.
« Une bière bien élaborée (quel que soit son style) mérite d’être reconnue », dit-il, mais ce qui l’intéresse vraiment, c’est d’apprendre à la connaître, de comprendre d’où viennent ses saveurs, ses arômes et ses couleurs, de déchiffrer sa complexité.
« Ce sont les levures belges qui m’ont vraiment donné envie de m’y mettre, elles ont brisé l’idée que je me faisais de la bière. Je dis qu’elles sont comme des travestis, il faut leur donner les chaussures, les cils et les perruques, pour qu’elles vous donnent toute leur magie », dit-il.
Malgré cette grande passion de la bière, Pedro ne fait pas de bière pour sa consommation personnelle, il avoue même en boire très peu et la brasser pratiquement pour l’envoyer à des concours, et obtenir des rétroactions et commentaires.

Les clés d’un bon brasseur
Pour Pedro, une bonne bière n’est pas une affaire de taille, mais d’habileté, de préparation, de compréhension, mais avant tout de ne pas s’enfler la tête et devenir un demi-dieu au premier commentaire flatteur. Il s’agit aussi d’avoir quelqu’un à qui demander les commentaires et critiques, sans se mettre en colère.
« C’est assez curieux, le processus est le même dans n’importe quel récipient, il suffit de connaître les éléments essentiels : une désinfection correcte, le contrôle de la température, un broyage adéquat et des ajustements à l’équipement. Avec cela, on peut faire de très bonnes choses », dit-il.
Il définit le brasseur comme un magicien de l’empirisme, qui avec de la préparation et de la créativité, peut résoudre les problèmes causés par un grand nombre de variables pour concevoir un produit de qualité.
« Je pense que n’importe quel brassée demande de nombreuses années de préparation pour qu’elle soit excellente. Si vous arrêtez d’étudier, vous n’avancez pas. Les brasseries qui ne cherchent plus à se renouveler ont arrêté de créer de nouvelles choses, et vous ne les voyez plus autant. Il faut aussi savoir quand arrêter de faire des ajustements, comprendre qu’il y a des bières qui sont assez bonnes et que les améliorer est hors de portée. Dans ce cas, je suggère d’opter pour un autre style », dit-il.

Appel aux brasseurs artisanaux
Les brasseurs amateurs ne doivent pas se battre pour obtenir une place dans le secteur, ils doivent la prendre, car ils l’ont déjà, affirme Pedro. Il n’exclut pas de participer à la catégorie professionnelle de la Copa Cerveza Mx l’année prochaine afin de le prouver.
« Le combat peut être mené et j’oserais dire qu’il doit l’être. Les brasseurs amateurs doivent rivaliser avec les brasseurs professionnels, ce n’est pas une question de taille, c’est une question de capacité à faire de bonnes choses, même si beaucoup n’aiment pas cela », dit-il. Il estime qu’il manque une stratégie à l’échelle du secteur pour accroître l’impact de l’activité des brasseurs à domicile, qui constituent un élément fondamental de la scène artisanale.
Les recommendations de lecture de Pedro
Tasting Beer de Randy Mosher, a été sa première lecture. Il a ensuite poursuivi ses découvertes avec tous les livres de John Palmer. De là, il s’est dirigé vers des oeuvres plus historiques et empreintes de magie : Brew Like a Monk, Wild Brews : Beer Beyond the Influence of Brewer’s Yeast, Farmhouse Ales: Culture and Craftsmanship in the Belgian Tradition, Wood & Beer: A Brewer’s Guide, Belgian Trappist and Abbey Beers: Truley Divine. Sa plus récente lecture: Historical Brewing Techniques: The Lost Art of Farmhouse Brewing.