Greg Noonan, un pionnier des microbrasseries américaines

Greg Noonan : craft Beer advocate

Greg Noonan: Je connaissais l’existence du bonhomme sans jamais l’avoir vu, sans connaître son nom. Pendant la deuxième édition du Festibière de Chambly, il était venu m’offrir ses services. J’accueillais beaucoup de propositions depuis mes premiers engagements dans le monde de la bière. Mon scepticisme, combiné à mes nombreuses déceptions, m’avait conduit au renforcement d’un accueil poli et respectueux.

Greg Noonan : pionnier de la microbrasserie
Greg Noonan : grand champion de la bière artisanale américaine

Ma rencontre avec Greg Noonan

Ce gaillard souhaitait coordonner le volet « bières de la Nouvelle-Angleterre » dans la programmation. Nous étions alors satisfaits de l’offre modeste que nous présentions aux festivaliers. Je l’ai remercié, au sens propre, mais surtout au sens figuré. Je savais que j’allais éviter de m’aventurer sur le sentier qu’il m’offrait. L’âme de la diplomatie. Il m’a alors tendu sa carte de visite :

– Si jamais ça t’intéresse, tu peux m’appeler à ce numéro. Une grande émotion avait alors inondé mon âme. Je reconnaissais l’enseigne dont il était copropriétaire, le Vermont Pub and Brewery. C’était Greg Noonan ! Un pionnier du développement du marché microbrassicole américain. Un leader de la première heure. J’ai vite changé mon fût de pensée.

Le Vermont Pub and Brewery

Le Vermont Pub and Brewery à Burlington, Vermont USA, était une destination sur la route de nos pèlerinages depuis le début des années quatre-vingt-dix. Ces visites aller-retour-même-jour, transitaient par Winooski. Ce charmant petit bourg industriel d’un autre temps nous proposait des trésors fantastiques. Dans les allées du Beverage Warehouse, on retrouvait de l’Orval, une bière mythique pour nous. Nous en faisions bonne provision. Nous explorions également les nouvelles bières qui sortaient des cuves des microbrasseries américaines.

Le Vermont Pub and Brewery à Burlington, Vermont USA, était une destination sur la route de nos pèlerinages depuis le début des années quatre-vingt-dix. Lors de la rédaction de l’Atlas mondial de la bière, j’avais photoshoppé la photo du Pub afin d’amplifier le logo sur la façade sud de l’établissement.

Une caisse de Catamount Gold faisait impérativement partie de mes achats, plusieurs Anchor Steam Beer itou. Nous allions ensuite déambuler sur le Waterfront Park, pour une brève admiration du tableau offert par les Adirondacks, sur la rive opposée du Lac Champlain. Nous concluions finalement nos dévotions au bistrobrasserie de la ville. Au mois de juillet, l’unique motivation de notre voyage était le Vermont Brewers Festival.

Quelques dizaines de microbrasseries enfermées sous un grand chapiteau présentaient leurs produits. La tente était plantée devant le spectacle majestueux des montagnes. Nos découvertes gustatives se faisaient en catimini, sous sa toile. Je ne comprenais pas pourquoi les organisateurs nous privaient de ce paysage. 

J’ai donc fait la connaissance de Gregory Noonan, qui me proposait de devenir partenaire du Festibière. Une offre impossible à refuser. Un grand honneur pour moi.

Greg Noonan et la révolution microbrassicole

Pionnier de la révolution microbrassicole aux États Unis, ce brasseur-maison du Massachusetts avait réussi, après trois ans d’efforts, à convaincre la législature de l’état voisin d’adopter une loi autorisant l’établissement de brewpubs. Je possédais également deux de ses ouvrages. Ils m’assistaient dans l’élaboration de mes concoctions du temps que je brassais dans ma cuisine :Brewing Lager Beer: The Most Comprehensive Book for Home – And Microbrewers ainsi que Scotch Ale. Noonan trônait déjà bien haut dans la chope de mon respect.

J’ai alors appris qu’il était un passionné de la ville de Montréal. Il faisait régulièrement le voyage inverse au nôtre. Il fréquentait assidûment le Mondial de la bière et le Festibière de Chambly. Il m’indiqua que le comité d’organisation du festival de sa ville, s’était inspiré de nous. On avait définitivement plié la toile du grand chapiteau afin de la remplacer par une série de tentes plus petites, ouvrant ainsi la fenêtre sur les montagnes. Velours sur ma conception des choses. 

Anniversaire - Greg Noonan - Vermont Pub Brewery
Anniversaire – Greg Noonan – Vermont Pub Brewery

En 1998, son Pub soufflait les dix bougies de son existence. Il n’était pas question de rater ce rancard, Alain Geoffroy et moi, ni de faire l’aller-retour-même-jour. Nous avons donc réservé une chambre au motel suggéré sur le carton, le Maple Leaf Motel, au sud de la ville.

Le Pub était modestement décoré, l’ambiance plutôt tranquille. Nous nous sommes installés discrètement à une table, dans l’attente de la cérémonie qui allait certainement débuter plus tard. L’endroit était plutôt calme, une décoration minimaliste, sans trop de fla-fla. L’ombre d’un doute, nous étions peut-être arrivés trop tard ? Puis une voix est venue rompre notre conversation:

– Hey guys !  C’était Greg.

– Hey bienvenue, je suis content que vous soyez venus. Jean-Francois et son groupe sont assis là-bas. Nous n’avions aucune espèce d’idée de qui il parlait. Il nous enjoignait d’aller les rejoindre.

– Occupez-vous pas des factures.

En chemin, Alain et moi nous questionnions mutuellement. « Connais-tu un Jean-Francois toi ? », « Moi non plus, seulement Jean-François Johanette, mais je serais étonné que ce soit lui ».

– Hey Mario, t’es venu ! Et toi, tu es Alain Geoffroy je crois ?

Je rencontrais pour une première fois le Jean-Francois en question.  Il nous connaissait déjà, manifestement heureux de nous rencontrer. Il a poursuivi, en désignant les deux personnes qui l’accompagnaient :

– Connaissez-vous Patricia Lirette et Stéphanne Ostiguy ? On s’est serré la main, fait une bise, mais le déséquilibre nous habitait toujours. Jean-François a ajouté :

– C’est avec eux que nous avons fondé Dieu du Ciel!

Ah ben saint saperlipopette ! Le Royal Higness nous avait parlé du trio de microbiologistes dont l’un avait fréquenté l’Institut Armand-Frappier. Il avait déjà visité le Pub nouvellement ouvert sur Laurier à Montréal. On s’était questionné sur l’emplacement du bistro, à mi-chemin entre Saint-Denis et le quartier Outremont à l’Ouest, loin du centre-ville.

Chimie, histoire et chaleur humaine

À l’époque, c’était au milieu de nulle part.  « On verra bien…. » Il avait ajouté que les bières étaient couci-couça et que, lorsqu’ils parlaient, ils affirmaient à tout bout d’champ qu’ils étaient des microbiologistes ». – C’est vous autres ça !  La chimie s’est spontanément opérée, nous avons palabré jusqu’au « last call ».

Les membres du trio employaient effectivement le mot « microbiologiste » à une grande fréquence. Un peu, peut-être, pour exorciser les insécurités inhérentes à l’investissement qu’ils venaient de faire en sortant de l’université. Sympathiques, passionné.e.s, sans aucune prétention. Amitié innée.

Greg Noonan Mario d'Eer Vermont
De gauche à droite Jean-François Gravel, Alain Geoffroy, Charles Olchowski, Patricia Lirette, Stéphanne Ostiguy, Greg Noonan, Mario D’Eer

Alors que tous les autres clients avaient quitté le Pub, Greg nous a invité à aller saluer les équipements au sous-sol, nous et un employé Charlie Olchowski. Nous avons visité un temple, rien de moins, moment solennel. Il nous convia ensuite sur le toit de l’établissement. Les échantillons de bière avaient été remplacés par des clopes roulées manuellement, avec autre chose que du tabac. Inhalations inspirantes, nous flottions au-dessus de Burlington en cette nuit tiède d’automne. Notre concile s’est terminé longtemps de l’autre côté de minuit. 

Peu de temps après, nous sommes allés visiter le nouvel établissement montréalais. Coup de foudre absolu. Des bières généreuses, bien construites. Les cours d’initiation à la dégustation des bières de l’Ordre de Saint-Arnould ont rapidement adopté ce lieu. Pendant une dizaine d’années, les aficionados s’y rendaient régulièrement afin d’exercer leurs perceptions sensorielles devant la grande fenêtre, derrière les cuves. Peu importe le jour, nous étions convaincus d’y rencontrer un collègue déjà installé ou sur le point d’arriver. Nous réorganisions ensuite les tables et les chaises afin de nous lover dans cette ambiance fertile de nos passions puisées à la même source.

Lors de la rédaction de l’Atlas mondial de la bière, j’avais photoshoppé la photo du Pub de Burlington afin d’amplifier le logo sur la façade sud de l’établissement. Je l’avais remplacé par celui d’un imprimé dont les couleurs étaient plus vibrantes et agrandi afin qu’il occupe une plus grande partie du mur de briques. 

La fin d’un grand homme

J’ai appris le décès de Greg Noonan au mois d’octobre 2009, alors que j’étais en route pour le premier Mondial de la bière de Strasbourg. Fidèle à sa discrétion, il avait gardé secret la progression du nid de crabes qui squattait les alvéoles de ses poumons. Même l’annonce de son voyage ultime s’est faite à compte-gouttes. Une gigantesque perte. Il avait 58 ans.

En arrivant dans la capitale de l’Alsace, Jeannine Marois m’annonça la triste nouvelle à son tour, abasourdie elle aussi. On perd un peu la notion du temps, dans les étourdissements qui enveloppent alors nos émotions. Aucune explication possible. Sentiment d’impuissance. Je lui ai alors suggéré l’idée qu’il fallait trouver un moyen d’honorer sa mémoire.

Elle y avait pensé, une décision était déjà prise. Le concours MBière de Montréal allait devenir le concours MBière Greg Noonan. Je ne réalisais pas, à ce moment-là, l’hommage indirect qu’elle me faisait. Peut-être, ne le réalisait-elle pas, elle non plus. C’est en rédigeant le texte actuel qu’une agréable sensation d’euphorie a chatouillé mon cœur. Le mode opérationnel unique de ce concours a été imaginé par…. moi. 

Il ne comporte aucune catégorie prédéterminée, elles doivent l’être à postériori, après analyse à l’aveugle. L’évaluation de chaque bière se base essentiellement sur ses qualités intrinsèques. On élimine la référence à la définition d’un style – une sorte de béquille analytique – pour juger les produits. 

On fait ainsi fondamentalement confiance aux compétences professionnelles des juges invité.e.s. Je me suis fait ramassé pas à peu près par les premiers jurys. L’expérience était un tantinet déstabilisante, noyée dans l’insécurité inhérente à de telles conditions de travail. Lorsqu’ils et elles ont compris la confiance totale associée à l’invitation de participer, elles et ils ont réalisé que c’était plutôt un grand honneur qui devait être ressenti.

L’expérience était un tantinet déstabilisante, noyée dans l’insécurité inhérente à de telles conditions de travail. Lorsqu’ils et elles ont compris la confiance totale associée à l’invitation de participer, elles et ils ont réalisé que c’était plutôt un grand honneur qui devait être ressenti. Depuis octobre 2009, Noonan et moi, unis par la bacchante Jeannine Marois, bénissons ensemble les inquisitions annuelles des papilles invitées à juger au Mondial de la bière. Pur bonheur spirituel.

Copyright Mario D’Eer, 2023, toute reproduction interdite. Les vues exprimées ici n’engagent que son auteur.

Mario d'Eer, biérologue, conférencier et auteur
Quand Mario d’Eer découvre la bière belge, c’est le début d’une longue aventure qui le ménera au bout de l’univers brassicole et plus loin!

Fermentation Spontannée

Mario d’Eer est un biérologue, conférencier et consultant. Il est auteur ou co-auteur de 14 livres sur la bière. Pour le Temps d’une Bière, Mario nous partage sa passion infinie pour les bières de qualité, du Québec à l’autre côté du monde. Retrouvez le sur Facebook. Ces capsules de fermentation spontannée constitueront autant de goutes d’un prochain livre sur la bière au Québec

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