Capsule bière: Une frontière poreuse

Mario d'Eer capsule bière


Hommage à Yvon Durocher

Dans les premiers bredouillages de la révolution microbrassicole, la distribution régionale des cervoises était habituellement confiée à des petites entreprises locales. Elles devaient représenter plusieurs marques.

Dans l’Outaouais, Osiris constituait le plus important ambassadeur. Pour le lancement privé de mon livre « Le guide de la bonne bière », j’étais allé récupérer un fût de Saint-Ambroise Pale Ale directement dans la maison de l’un des actionnaires, Yvon Durocher. Lorsque nous avons fondé l’Ordre de Saint-Arnould quelques mois plus tard, l’entreprise offrait de généreuses commandites pour nos différents événements.

À l’époque, je collectionnais les capsules. Je protégeais leur dos en plaçant un trente sous sur le dessus. Le mouvement du décapsuleur soulevait un bord de la couronne, libérant l’enveloppe du goulot. La surface plane restait immaculée. Je rêvais de produire une affiche en comportant mille. Le contour allait être constitué du mot « santé ! », écrit dans les grandes langues du monde. Chaque lettre blanche allait être décalquée sur une capsule noire.

Bières américaines - Mario D'Eer
Collection de Mario D’Eer

Winooski, épicentre de la microbrasserie américaine

Tout un défi à l’époque. J’en possédais déjà autour de huit cents, surtout cueillis en Europe et aux États-Unis. Je souhaitais donner un grand coup en allant faire des achats à Beer of the World, situé à Rochester aux USA, à cinq heures de route de la maison. Jusqu’alors, le temple américain de nos chasses se trouvait à Winooski au Vermont à seulement trois heures.

L’appel du Lac Ontario avait trop longtemps été négligé. À l’époque, aucun passeport n’était requis pour franchir la frontière, un simple permis de conduire nous autorisait à la traverser. Yvon rêvait lui aussi d’aller visiter ce temple convoité. Tous nos achats allaient être fortement taxés car nous allions faire le trajet aller-retour le même jour. Nous assumions.

Après quatre-vingt-dix minutes de route dans sa voiture, nous nous sommes présentés au poste frontalier. « ID » Yvon se soulève de son siège, fouille dans sa poche de pantalon droite, puis celle de gauche. Il constate qu’il a oublié ses papiers. Ni permis de conduire, ni enregistrement d’auto, ni feuille rose d’assurances. RIEN !  Misère… Aucun malaise perceptible sur son visage. Stoïque. Un scepticisme confondant abreuvait mon silence. L’agent ne me demande rien. Il pointe l’endroit où nous devons aller stationner la voiture. « Go inside guys »

Aucune autre instruction. Sans enregistrement de voiture, je ne pouvais même pas prendre le relais au volant saint saperlipopette ! Nous sommes entrés silencieux, aucune parole n’a été échangée entre nous. Deux bagnards en route pour le cachot. Le vide. Yvon s’est dirigé vers le comptoir, a répondu aux questions, est revenu s’asseoir. « Que va-t-il arriver ? » Ils m’ont rien dit. J’ai donné mes informations.

Ales, lagers, alambics
Capsule nostalgie : retour à 1998 avec Ales, lagers, alambics : la bière de Mario d’Eer

Welcome to the USA!

On attend. « Ah bon ! » J’avais quand même apporté le plus important ! Il tire de sa poche une carte de crédit. C’était quand même une pièce d’identité. Mort de rire. Jaune. – Ça ne risque pas trop de servir maintenant. Les agents ont réquisitionné Yvon à deux autres reprises pendant l’investigation. À la troisième, au lieu de lui demander de s’approcher du comptoir, il s’adressa à nous deux : « Everything is set up guys. Welcome to the USA ! » Pardon me ? « You can go now. Everything is OK ! »

Aucun papier ne lui était remis, aucune autre instruction. Nous pouvions rouler sans identification sur les routes de l’état de New York. J’en suis encore ému. Dans le magasin de friandises convoitées, nous nous sommes procurés une cinquantaine de bières différentes chacun, selon le critère rigoureux « je ne possède pas cette capsule-là ».

Nous en avons également profité pour nous procurer des grands crus américains vendus à la caisse, impossible à trouver au Canada : Catamount, Sierra Nevada, Anchor Steam, Rogue. Quelques mois plus tard, j’étais en mesure de faire un montage avec mes trésors. Je devais inventer une façon de les faire tenir sur un grand carton enveloppé d’un tissu de velours, de les distribuer en respectant des lignes perpendiculaires et horizontales droites, de trouver un photographe pouvant capter l’image sans distorsion, faire imprimer.

Au final, rester pris avec quelques centaines d’affiches à entreposer, je ne pouvais les vendre que pendant des festivals de bière. Mon rêve s’était quand même réalisé. Encore de nos jours, il m’arrive de la retrouver, laminée, posée sur un mur dans certains pubs en Amérique du Nord ou en France. Un frisson de fierté fait alors pétiller la chope de mes « accomplissements ».  

Lorsque la technologie m’a permis de numériser ma collection, ainsi que de faire disparaître les ombres autour des capsules avec Photoshop 3.0, j’ai entrepris de faire une nouvelle affiche. Cette fois-ci, elle allait présenter une mappemonde. Le cadrage allait simplement être constitué du mot « bière » dans les grandes langues. Je n’ai pas complété ce projet.  J’ai recyclé les capsules numérisées pour la pagination de mon deuxième livre « Ales, lagers, lambics, La Bière ». 

Copyright Mario D’Eer, 2023, toute reproduction interdite. Les vues exprimées ici n’engagent que son auteur.

Mario d'Eer, biérologue, conférencier et auteur

Fermentation Spontannée

Mario d’Eer est un biérologue, conférencier et consultant. Il est auteur ou co-auteur de 14 livres sur la bière. Pour le Temps d’une Bière, Mario nous partage sa passion infinie pour les bières de qualité, du Québec à l’autre côté du monde. Retrouvez le sur Facebook. Ces capsules de fermentation spontannée constitueront autant de goutes d’un prochain livre sur la bière au Québec

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